Quelle que soit notre opinion à son égard, il faut bien reconnaître que Michel Houellebecq est loin d’être toujours là où on l’attend. Le lecteur aura peut-être entendu parler du long entretien qu’il a eu avec Michel Onfray dans la revue Front populaire, en novembre dernier. Parmi les sujets abordés, l’un d’entre eux est presque passé inaperçu : celui de la chasse.

En effet, cherchant « un point de désaccord » avec son interlocuteur, Houellebecq déclare soudain : « Ah si, j’en ai un ! […] Votre opposition à la chasse. J’ai failli écrire un article en réponse à l’un des vôtres ». Onfray avait publié dans Causeur une tribune contre la corrida, où il comparait la chasse à celle-ci. Surprise du philosophe (« Écrire un texte ? Carrément ? ») ; surprise du lecteur, aussi, l’auteur des Particules élémentaires faisant partie, depuis 2011, du jury du prix littéraire 30 Millions d’amis…

Suit une discussion intéressante à plus d’un titre. Onfray, fidèle à ses convictions, se contente de se répéter : « Les chasseurs désorganisent la nature pour nous dire ensuite qu’il faut la réorganiser. Exactement comme les gens qui mettent le feu pour pouvoir dire après qu’ils sont pompiers » (où l’on voit à nouveau, soit dit en passant, les profondes lacunes d’une défense de la chasse fondée sur son utilité) ; le jour de l’ouverture, ils lâchent des perdrix et faisans – « élevés en batteries », bien entendu ! – pour satisfaire sans effort leur goût du sang ; et, évidemment, « quand ils tuent », ils éprouvent un « moment d’orgasme » (sic !), une émotion intrinsèquement condamnable, le fait de « prendre plaisir à donner la mort » étant « une passion triste, terriblement triste, peut-être la pire des passions tristes… » Une finesse d’analyse que l’on retrouve, d’ailleurs, sous la plume d’autres penseurs fort prisés aujourd’hui – tels Luc Ferry ou Sylvain Tesson.

« Je suis tout à fait favorable à la chasse, dans la logique de mon opposition à l’élevage industriel. La chasse, c’est quand même ce qui sauvegarde le mieux les conditions de vie de l’animal », soutient quant à lui Houellebecq, à juste raison. Bien sûr il estime « honteux » certains comportements : lâchers d’oiseaux à peine volants, engrillagement destiné à emprisonner le gibier, etc. Néanmoins, précise-t-il, « la pratique majoritaire des chasseurs n'est pas celle-ci. C’est un loisir entre amis, une promenade avec des chiens », sans compter que les nemrods, parce qu’ils sont viscéralement attachés à leur passion, ont besoin de biotopes riches et diversifiés, et qu’en conséquence, « contrairement aux écologistes, irresponsables et infantiles », ils œuvrent concrètement, sur le terrain. Ensuite, sans être lui-même chasseur, l’écrivain pressent – dépouillé des multiples a priori dont font preuve nombre de nos contemporains sur ce sujet – que la mise à mort de l’animal « n’est pas le plaisir de tuer », et que le fait de « tuer parfois » représente seulement la conclusion d’un phénomène beaucoup large, qu’il s’agisse de la quête, de l’affût ou autre. « De mon point de vue, dit-il encore, une bête abattue par un chasseur, c’est un animal tué par un prédateur plus rusé. Ça arrive tout le temps. C’est la vie » – c’est-à-dire, pourrions-nous ajouter, la nature dans ce qu’elle a de plus authentique, hors l’imaginaire humain si prompt à en idéaliser l’essence. Et d’ajouter : « J’ai un argument plus personnel : je crois que je pourrais prendre plaisir à chasser ». Prendre plaisir à chasser ! C’est très exactement la légitimité de l’association de ces deux notions que nous avons le devoir d’illustrer et de défendre.

Il faut du courage pour se ‘‘commettre’’ ainsi, comme le fait Houellebecq, avec les chasseurs. Mais s’il est une leçon que nous serions bien inspirés de retenir de ce fragment de discussion, c’est qu’une partie de notre ‘‘salut’’ – si salut il devait y avoir – viendra peut-être de l’attention sans préjugés qu’auront su nous porter certains non-chasseurs.