C’est un fort joli roman que les éditions de l’Aube nous offrent là – le premier de Jean-François Létourneau. Inspiré du parcours de son auteur – québécois, et lui-même enseignant –, le livre raconte l’histoire de Guillaume, jeune professeur estrien qui a demandé, pour son premier poste, à être affecté dans le nord du pays. Ainsi se retrouve-t-il dans le village de Kuujjuaq, parmi les Inuits, découvrant à la fois des paysages sublimes et hostiles, et des habitants dont il ne parle pas la langue et dont il méconnaît d’abord profondément les usages, les mœurs, la configuration psychologique. Un certain sentiment de solitude va progressivement céder la place, dans l’esprit du personnage, à l’authenticité d’une rencontre avec la ‘‘population autochtone’’ – rassurons d’emblée le lecteur : ladite notion de rencontre, ici, est soigneusement nettoyée de toutes les niaiseries ‘‘bienveillantes’’ et ‘‘irénistes’’ dont maints livres ou films contemporains se sentent obligés de l’enrober, quel qu’en soit le sujet. Au gré d’une narration qui mêle très adroitement au moins deux présents – celui de la vie de Guillaume dans le Grand Nord, et celui de sa vie, plusieurs années ensuite, dans sa région d’origine, avec femme et enfants –, nous partageons non seulement les joies, les peines et les doutes d’un homme qui sait que vie et mort sont intrinsèquement liées, mais aussi l’appréhension de ces autres Canadiens que sont les Inuits, principalement par la passion du hockey, puis par celle de la chasse. La chasse ? Si Guillaume n’est pas nemrod et ne le deviendra pas, il apprend, aux côtés de ses compagnons, à explorer le « territoire sauvage de l’âme », lequel s’éprouve aussi bien dans la quête du caribou ou du bœuf musqué, parmi les neiges, le blizzard, les lacs gelés et les aurores boréales, qu’à la pêche, aux confins des forêts ou des… souvenirs, souvenirs des morts, de ceux que l’on a quittés ou que l’on quittera, tôt ou tard… N’en disons pas plus. Empreint de poésie, sans fioritures ni lourdeurs ni longueurs, le roman de Jean-François Létourneau exprime avec une rare délicatesse la grandeur et la fragilité de l’existence humaine lorsqu’elle s’extrait de ses conditions premières, tout en soulignant – paradoxe d’une extraordinaire fécondité – l’impérieux besoin de transmission, de retour et d’ancrage qui l’habite, du moins le plus souvent.

L’Aube, 168 pages, 17,90 €.