Le lièvre ! Voilà bien un gibier de discernement, de prudence, de coup d’œil et d’énergie. Et si sa chasse – notamment au chien courant – est science et subtilité, sa cuisine ne l’est pas moins, ou plutôt sa gastronomie tant l’affaire est sérieuse quand elle ne « tutoie pas le sublime », aurait dit Audiard. Nous voulons parler ici du fameux lièvre à la royale, testé, amélioré par les passionnés de la « science de la gueule », et toujours empreint de mystères car bien des secrets subsistent encore sur ses origines.

Personne n’ignore que notre capucin est depuis fort longtemps un mets de choix, à telle enseigne qu’il est souvent sur la table des patriciens romains ; mais la préparation ‘‘à la royale’’ remonterait à l’Ancien Régime ou, plus précisément, à la fin du règne de Louis XIV. Le vieux roi, moins passionné de chasse – en tout cas pas de la même manière – que son père Louis XIII, aimait la bonne chère. Hélas, avec l’avancée inexorable du temps, il désespérait de ses mauvaises dents qui l’empêchaient de manger comme il l’aurait voulu de la viande, du gibier en particulier. Un cuisinier aurait eu alors cette idée de génie : concocter pour le roi un plat cuit et recuit jusqu’à ce qu’il devienne si fondant qu’on le puisse déguster à la cuillère… Qui était-il ? Nul ne le sait ; l’histoire n’a livré aucun nom. On n’en trouve aucune trace dans la Physiologie du goût écrite au début du XIXe siècle. Curieusement, ce n’est qu’à la fin de ce même siècle que le lièvre à la royale fait recette, tant il est vrai qu’il ‘‘explose’’ en de multiples versions.

Retravaillée et médiatisée, pourrait-on dire, par Antonin Carême (ce nom ne s’invente pas, pour un cuisinier du XIXe !) et, surtout, en 1898, par le sénateur Aristide Couteaux, qui en donne sa version dans le journal Le Temps (en y ajoutant plus de piquant avec ail et échalote), la recette est reprise, quelques générations plus tard, par Paul Bocuse, qui en fait détoner les saveurs.

Les recettes fleurissent, s’enrichissent mais avec une constante : le lièvre est toujours désossé, accompagné d’une farce avec souvent du foie gras et des truffes, et, chose incontournable, la cuisson est toujours lente, longue, à feu doux, dans un fumet travaillé pour exalter les arômes. Bref, celui qui s’essaye à ce monument est plus qu’un cuisinier, c’est un artiste. Ne fait-il pas ‘‘œuvre d’art’’ ?

Recette : Le lièvre à la royale, à la truffe et au foie gras

Prenez un lièvre d’environ 3 kg, coupez-lui la tête, les épaules et récupérez la chair, conservez les os et mettez de côté le cœur, le foie, les poumons, ainsi que le sang. Désossez délicatement le reste tout en gardant la chair du lièvre entière, et mettez de côté les morceaux détachés.

Prenez les os et la tête, faites-les revenir rapidement à l’huile d’olive dans une cocotte en fonte, puis noyez-les dans un bouillon salé et poivré, avec de l’échalote, du laurier, du thym, et une carotte accompagnée de clous de girofle. Faites cuire à feu doux pendant 1 h 30. Durant ce temps, préparez une farce avec de la ventrèche et/ou du collier de porc, les abats et la chair des pattes avant ; salez et poivrez.

Étalez bien à plat le lièvre désossé sur une large bande de crépine, et remplissez alternativement de farce, de chair du lièvre, de foie gras frais et de tranches de truffe. Refermez le lièvre puis entourez-le de crépine. Ficelez comme un rôti. Vous pouvez remplacer les truffes par de la pâte de truffe, ou truffonade, si vous en trouvez. Reprenez la cocotte, écrasez et filtrez le contenu pour ne conserver qu’un bouillon qui servira de fumet pour la cuisson du lièvre, vous en réserverez une partie pour la sauce à venir. Puis, dans la cocotte, posez votre lièvre reconstitué en rôti, couvrez-le du fumet que vous avez obtenu et laissez cuire pendant 4 heures à feu doux en veillant à toujours l’arroser.

Au moment de servir, tranchez bien délicatement le lièvre. Vous pouvez y ajouter une sauce faite à partir du fumet, agrémentée du sang conservé et, selon les goûts, d’un marc de Bourgogne ou autre eau de vie. Vous pouvez le servir avec des pâtes fraîches, et un soupçon d’huile d’olive à la truffe.