Il était le dernier… Le dernier de nos chefs d’État à avoir connu – et fait – la Seconde Guerre mondiale, le dernier à avoir traversé la IVe et la Ve Républiques, le dernier à avoir participé aux destinées gaulliennes et pompidoliennes, le dernier à avoir été un président de la République habité par la chose cynégétique. Ce n’est un secret pour personne que ce surdoué de la politique, à l’allure de félin et à l’intelligence supérieure, créateur des modernités françaises avec sa part d’ombres et de lumières, père du « libéralisme avancé » qui voulait « regarder la France au fond des yeux… », a eu ancré en lui le noble déduit, la « passion de sa vie » dira-t-il, par la relation qu’il peut y avoir entre un animal sauvage, la nature et un homme. La petite histoire laisse entendre que c’est après son mariage en 1952 qu’il goûte à ses premières joies de nemrod, en compagnie de son beau-frère. Visiblement, c’est une révélation, car la chasse ne le quittera jamais plus. « C’était un élément essentiel de son équilibre », témoigne le préfet Geoffroy de Roquancourt, qui était, sous son septennat, commissaire à l’aménagement du domaine de Chambord.
Sa carrière politique – il intègre en 1954 le cabinet d’Edgar Faure, alors ministre des Finances – ira de pair avec sa carrière cynégétique. Il s’occupera de l’une des propriétés de sa belle-famille, les Brantes, plus de 500 hectares dans le Vendômois, à Authon, dans le Loir-et-Cher (où il repose désormais), chassera avec les grands de ce monde, dans les plus belles chasses de France et de Navarre, fréquentera avec assiduité les chasses présidentielles, et vouera un véritable culte à Chambord (« Le plus beau domaine de chasse du monde », dira-t-il). Élu président le 20 mai 1974, il saisira et comprendra l’importance des chasses présidentielles pour la vie politique intérieure et la grandeur de la France à l’étranger. Trop, lui reprocheront ses adversaires, ses détracteurs et certains médias. En perfectionniste absolu, Giscard ne laissera rien au hasard, le protocole y sera strict en sa présence, demandant à la fin des battues le tableau de chacun, parce que les meilleurs tireurs étaient invités à raconter une histoire sur le modèle des Contes de la bécasse de Maupassant, écrivain prisé par le chef de l’État. Ce qui fait dire à Marcelo Wesfreid, dans son ouvrage Le Jardin secret de la République (Plon), que ce « chasseur jaloux » a « l’esprit de compétition… » Est-ce le revers de son sentiment aigu d’évidente supériorité ? Mais n’est-ce pas, aussi, la loi non écrite des phénomènes de cour, qui rassemblent pêle-mêle la jalousie et la fascination? Chambord le marque-ra tellement qu’il n’y retournera jamais après sa défaite de 1981 face à François Mitterrand, « comme une blessure toujours béante ». Il reconnaîtra lui-même, dans un remarquable documentaire de Frédéric Mitterrand sur la chaîne LCP, que cet échec le laissera « autiste ». Comme tous les disciples de saint Hubert, il a senti l’ambivalence du chasseur, être civilisé autant qu’instinctif (« quand un grand animal tombe, on éprouve une sensation de nostalgie, une émotion triste »). Il aura une passion toute particulière pour la chasse à l’approche, à Chambord évidemment (c’est lui qui mettra en place le tir de sélection pour les cervidés, décision qui fut entérinée en 1970 à l’initiative de François Sommer), mais aussi en Afrique, où il sera formé, notamment, par Marc Péchenard et Maurice Patry (avec lequel il lui arrivait de jouer aux échecs). Là encore, ses safaris lui seront reprochés, que cela soit au Cameroun, en Tanzanie, au Kenya, en Namibie ou encore en Centrafrique. N’est-ce pas le lot de nombreux hommes de pouvoir que d’être désignés à la vindicte, quelles qu’en puissent être les raisons ?
Au vrai, personne, cependant, ne peut nier que le chantre de la « décrispation » fut subjugué par l’Afrique (« J'ai vu la planète telle qu'elle devait être depuis les origines »). Son dernier roman (Loin du bruit du monde, avec un… éléphant en couverture ; voir Signet page 50) est presque un testament à cet égard, avec cette histoire d’un homme politique de premier plan qui se retire, seul, en République Centrafricaine. Il faut relire la préface qu’il avait livrée pour Nouvelles de brousse, paru en 2002 (Montbel). Pour lui, la grande chasse, « c’est l’aventure », un « exercice de patience, d’endurance », bref de « frustration corrigée par la chance ». Comme beaucoup de broussards, il aura laissé une partie de lui-même dans ce continent. Comme nombre de chasseurs, il n’aura eu de cesse, dans la dernière partie de sa vie, d’œuvrer pour la sauvegarde et la conservation de la faune, montrant une fois encore que chasse et protection ne sont en rien antinomiques, mais complémentaires. Il ne ratait d’ailleurs jamais le dîner annuel organisé par Tanganyika Wildlife Safari, en faveur de la lutte antibraconnage des éléphants de Tanzanie. Au fond, pour le résumer d’un trait, forcément sommaire, s’il a été, politiquement, l’incarnation de « l’ère nouvelle, du changement et du rajeunissement », il est resté profondément conservateur en matière cynégétique.

Jours de Chasse présente ses plus sincères condoléances à sa femme et à ses enfants.