Ce qui vient d’être décidé en Espagne est sans conteste un très mauvais signal donné à une gestion intelligente et pragmatique de la faune sauvage. En effet, depuis le 21 septembre dernier, le gouvernement de gauche de Pedro Sánchez a interdit la chasse du loup dans toute l’Espagne pour, dit-il, uniformiser la législation. De quoi s’agit-il ? L’Espagne est confrontée au problème du loup de manière encore plus aigüe qu’en France (on estime à environ 2500 la population de loups, située au nord-ouest de la péninsule, dans les provinces de Galice, Asturies, Castille-et-Léon). Dans ces régions, dans les années 1980, le loup a retrouvé de la vigueur à la faveur de la déprise agricole, d’une progression des populations de grands animaux, et de l’interdiction du poison. Fait essentiel : au moment de la mise en place de la convention de Berne, le gouvernement espagnol avait obtenu que le loup soit classé, non en annexe IV – espèce strictement protégée –, mais en annexe V, c’est-à-dire comme espèce ‘‘seulement’’ protégée, une différence fonda-mentale puisque cela permet que le loup soit régulé et chassé, à condition de maintenir une population stable.

Dans les faits, jusqu’à présent, le loup était strictement protégé au sud de la rivière du Duero, en raison d’une très faible population. Au nord, c’est une espèce-gibier soumise à plan de chasse. Les quotas de loups à tirer étaient décidés par les provinces ou, plus exactement, par les communautés autonomes. En théorie, le plan de chasse concernait 5 à 6 % de la population lupine (soit un loup par meute, mais en excluant les animaux en âge de se reproduire). Ainsi, en 2017, 117 loups ont été tirés. Chaque taxe de tir coûte 1500 euros, mais peut monter jusqu’à 12 000 euros car, dans les territoires privés, elle peut être mise aux enchères. Précisons que l’établisse-ment du plan de chasse annuel tenait compte de la mortalité, y compris par le braconnage (qui peut en représenter la moitié). Bref, les Espagnols faisaient preuve d’un grand pragmatisme. Les institutions jugeaient que cette chasse produisait un revenu non négligeable ; les bergers étaient plutôt satisfaits ; elle était encouragée par la Fédération royale espagnole de chasse, qui mettait en avant le rôle d’épurateur naturel contre la propagation de certaines maladies… Des considérations qui n’ont pas vraiment ému les pouvoirs publics.

Que s’est-il passé ? « Lorsqu'il s'agit d'une espèce rare comme le loup ibérique, la responsabilité de sa conservation doit reposer sur tout le territoire », a affirmé le secrétaire d'État à l'Environnement, Hugo Morán. Dans les faits, l’initiative de cette demande de protection émane de l’Asociación para la Conservación y Estudio del Lobo Ibérico (l’Association pour la conservation et l’étude du loup ibérique), qui a demandé un rapport au Co-mité scientifique de la flore et de la faune, dépendant du ministère. Celui-ci a émis un avis en 2019 recommandant d’inclure l’espèce dans la liste des espèces sauvages en raison de « son importance en tant que patrimoine culturel et scientifique, ainsi que des services environnementaux produits par la présence de l’espèce dans les écosystèmes naturels ».

Un document qui a été décisif puisqu’au mois de février dernier, une proposition visant à l’interdiction générale a été présentée par la Commission d'État pour le patrimoine naturel du ministère de la Transition écologique et du Défi démographique. Après plusieurs votes, le gouverne-ment a obtenu gain de cause. Concrètement, les provinces non concernées ont voté pour l’interdiction. Une décision qui a reçu l’aval de l’équivalent de notre Conseil d’État. Ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère de la Cantabrie, des Asturies, de la Galice et de la Castille-et-Léon, régions qui concentrent l'immense majorité de la population de loups, à telle enseigne qu’elles veulent introduire un recours contentieux. De leur côté, des associations d'éleveurs, comme l'Union des paysans de Castille-et-Léon (UCCL), jugent « incompréhensible que des régions sans loup imposent leur écologisme radical ». En effet, si des écologistes se félicitent de cette décision, ils se voilent la face sur ce qui risque fort de se passer. Sans contrôle, le braconnage va s’intensifier, de même que le recours au poison… Mais il est vrai que l’honneur sera sauf à leurs yeux, puisque le mot chasse sera banni… Ou quand l’écologie radicale mène à des aberrations.