Président de la Fédération nationale des chasseurs depuis 2016, président de la Fédération des chasseurs du Pas-de-Calais depuis 2010, Willy Schraen est, à 50 ans, un homme de conviction, de passion. Réfutant catégoriquement l'idée selon laquelle le monde cynégétique aurait tout à gagner à demeurer discret s'il veut subsister face aux nombreuses attaques dont il est l'objet, le président estime, au contraire, que la chasse doit être fière d'elle et réinvestir, publiquement, la place qui lui revient dans la ruralité et l'écologie. Pour ce faire, et fort du soutien du président Emmanuel Macron, il a engagé une vaste réforme qui, assurément, va modifier en profondeur la pratique de la chasse française dans les années à venir. En juillet dernier, il nous a reçus, au siège de la FNC, à Issy-les-Moulineaux, pour évoquer quelques une des mesures de cette réforme.
Ça a été la passion débordante de mon enfance. Tout petit déjà, je pleurais lorsque je ne pouvais pas aller à la chasse avec mon grand-père. J’ai passé une enfance merveilleuse à la campagne, dans les Flandres, dans un village qui s’appelle Broxeele, où on mélangeait pêche, chasse, cueillette… On pêchait dans le marais ; on avait nos arcs, nos flèches, nos frondes ; des vrais gosses de la campagne ! Même à l’adolescence, quand on découvre d’autres… ‘‘sensations’’, j’ai toujours fait passer la chasse avant ! Je suis resté un pur et dur, ce qui ne m’a pas empêché de me marier et d’avoir des
enfants. Tout gamin, la chasse et la ruralité ont constitué pour moi un choix de vie. L’excitation des veilles d’ouverture, celle que je ressens avant une journée de pêche… Tout cela n’a pas changé chez moi. Et je m’en félicite !
La base de ma culture cynégétique, c’est le petit gibier et la sauvagine. Il y a une quarantaine d’années, il y avait beaucoup moins de grand gibier. 80 % des chasseurs l’étaient de petit gibier ; aujourd’hui, c’est l’inverse. Après
avoir connu des années extraordinaires avec les migrateurs et les perdreaux gris, je me suis donc mis aussi au grand gibier. Deux chasses me passionnent particulièrement (je pratique hélas moins la hutte, par manque de temps) : celle du gibier de plaine, pendant le premier mois d’ouverture,
au chien d’arrêt ; et celle du sanglier. Mais j’aime toute la chasse : le ramier, par exemple ! En revanche, je suis moins attaché aux pratiques qui privilégient le tir. Tirer deux cents cartouches dans une battue de haut vol n’est pas ce que je recherche. Le tir n’est à mes yeux qu’une conclusion
; j’ai du mal à le dissocier de la globalité de l’acte de chasse. Je respecte et défends tous les modes de chasse, mais j’ai plus de plaisir à aller, le dimanche matin, essayer de tuer un lièvre ou un perdreau dans les environs de mon village… Autre élément essentiel pour moi : le chien. Qu’il
s’agisse de chiens d’arrêt ou de courants, ils sont indissociables de l’amour de la chasse. Il y a une semaine, j’étais dans l’Allier pour les 30 ans de la Fédération des associations de chasseurs aux chiens courants : 50 000 personnes et 6 500 chiens ! Je me sentais bien, dans mon élément.
Pendant longtemps, on s’est contenté de mettre beaucoup de cataplasmes sur une jambe de bois. C’est à ma connaissance la première fois que, dans notre pays, une réforme globale de la chasse est engagée, et pas seulement des ‘‘aménagements’’. Le constat a été simple. Face à une société en perpétuelle évolution, les chasseurs ont commis l’erreur de conserver, comme ligne de conduite, l’adage d’Épicure : pour vivre heureux, vivons cachés. Or, après cinquante ans à jouer à cache-cache avec l’opinion publique, il fallait construire un autre modèle qui dit en substance : nous sommes chasseurs et fiers de l’être, nous devons assumer notre rôle dans la ruralité et l’écologie.
Oui. Pour le moment, sur plus de 500 000 permis pris, nous avons 50 % de nationaux. Il est difficile de faire des prévisions, mais je pense que l’on aura une bonne surprise au bout du compte. Je suis déjà étonné de voir qu’à l’approche de l’ouverture du gibier d’eau, beaucoup de gens prennent la validation nationale. Je crois qu’en définitive on pourrait être sur un rapport 40/60 %, c’est-à-dire environ 450 000 permis nationaux.
Le permis national, bien que plus accessible, n’a pas pour vocation immédiate de recruter. C’est un permis de transition, qui vise à redéfinir les règles des flux financiers de la chasse française. Qu’est-ce à dire ? La finalité de tout ça c’est, dans les années qui viennent, qu’il n’y ait plus qu’un permis, moins cher encore, et que les flux financiers ne proviennent plus seulement des permis mais des territoires.
Je veux parler des collectivités locales, territoriales, des sociétés de chasse communales ou privées, ou encore des ACCA. Évidemment, ça risque de faire bondir pas mal de gens… On voit bien qu’il est difficile de soustraire la chasse à un territoire et d’assurer sa biodiversité. Le canton de Genève est le bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire (voir Jours de Chasse n° 74). Là-bas, plus qu’ailleurs, la biodiversité s’amoindrit. Puisque les territoires doivent être chassés, il faut donc alimenter les flux financiers des fédérations départementales par les territoires. Concrètement, cela signifie que, dans 20 ans, le permis de chasser devra coûter 5 ou 10 euros. Ce ne sera plus qu’une formalité. À court terme, c’était aussi une façon de répondre à une problématique qui gangrène toute la chasse : celle des dégâts. Le sanglier a sans doute sauvé la chasse française ; attention à ce qu’il ne devienne pas son fossoyeur.
Oui, parce qu’il peut amener la chasse française à déposer le bilan et, alors, à passer sous la tutelle de l’État, avec tous les risques que cela comporte. Actuellement, certaines fédérations sont au bord de la ruine, à cause de ça. Les populations de sangliers explosent ; on va droit à la banqueroute pour plusieurs fédérations. Je ne comptais pas poser cette équation avant l'année prochaine, mais elle est intimement mêlée à la réforme. Certaines se sentent oppressées parce qu’on cumule deux choses : la réforme et les coûts liés aux dégâts. Seulement, l’orientation première de la réforme consistait à dire que, 85 % des dégâts étant concentrés sur 15 % du territoire, il semblait nécessaire de fournir aux présidents des fédérations concernées des moyens adéquats pour endiguer ce problème.
Entre-temps, après trois ans de négociation avec l’État, la situation s’est dégradée. Les points noirs se sont multipliés… La réforme intervient donc dans une année déjà difficile : à la contribution des territoires, s’ajoute la disparition du timbre sanglier. Certainement il y aura des ajustements à faire ; c’est une année de transition, peut-être mal vécue par certains qui se disent : ‘‘Le permis est deux fois moins chers, mais ma carte d’ACCA risque de tripler !’’ Je ne veux pas que la pression fiscale devienne insupportable pour les chasseurs des fédérations où ces dégâts sont lourds, mais là où les populations de sangliers sont très importantes et où des formules de chasse comme les ACCA existent, une augmentation de l’adhésion est inévitable… Par ailleurs, nous allons ouvrir un grand séminaire au siège de la FNC, à l’automne, sur les dégâts de sangliers, avec les syndicats agricoles, les rapporteurs des deux groupes ‘‘chasse’’ à l’Assemblée et les ministres de l'Écologie et de l’Agriculture. Le but sera de définir majoritairement une stratégie entre les présidents de fédérations. Le sanglier est un animal doté d’une extraordinaire faculté d’adaptation. Et avec les nouvelles méthodes agricoles (comme produire du maïs sur un énorme parcellaire, etc.), son développement va nécessairement s’accentuer. Aujourd’hui, dans certains départements, on est passé d’une ou deux journées de chasse par semaine, à une contrainte de trois ou quatre jours de pure régulation… Disons-le tout net : je pense non seulement qu’on ne devrait plus payer un centime de dégâts au monde agricole (je ne dis pas qu’il ne faille plus payer les dégâts, je dis que ce n’est plus à nous de les payer), mais aussi que nous devrions être payés pour accomplir cette ‘‘tâche’’. Si nous devions appliquer la méthode du canton de Genève avec sa milice cynégétique fonctionnarisée, comme en rêvent des écologistes en France, le coût pour les contribuables se chiffrerait en milliards d'euros. N'oublions pas, d'ailleurs, que le problème du sanglier est devenu une affaire mondiale… En tout cas, après paiement des dégâts, plus de la moitié des fédérations n’ont plus rien pour d’autres dossiers : petit gibier, études scientifiques, police, etc. Je crois que ce serait une erreur monumentale que de penser que nous allons maintenir la chasse française parce qu’on serait les pompiers de service du sanglier.
Le problème, c’est l’aménagement du territoire. Il y a des endroits où il est devenu extrêmement difficile de chasser – notamment dans le Sud, avec le maquis –, où l’on ne peut plus percer d’allées, par exemple. J'ai visité un charmant petit village situé en dessous d’Aix ; là-bas, à 25, ils tuent 200 sangliers par an. Mais c’est si impénétrable que beaucoup sont tués à l’épieu, au ferme… C’est cette chasse-là maintenant. Il va donc falloir réfléchir : que fait-on des territoires fermés ? L’homme doit-il, oui ou non, entretenir les territoires ? Quid des nouvelles pratiques agricoles ? Faut-il fragmenter les parcelles de maïs, définir des carrés de 20 hectares maximum pour pouvoir agir sur les sangliers ? Demain, si le sanglier est ouvert à la chasse ou à la régulation du 1er janvier au 31 décembre, de jour comme de nuit, beaucoup d’animaux supplémentaires seront tués, mais ça ne réglera pas le problème. Il faut un aménagement du territoire adéquat.
Au sujet de la PAC, les chasseurs n’ont pas beaucoup la parole. Nous allons cependant essayer de nous faire entendre, en imaginant un nouveau système, à l’espagnol.En Espagne, les chasseurs ne paient pas les dégâts ; ce sont les assurances prises par les agriculteurs, lesquelles sont payées dans la prime PAC. C’est une excellente méthode. Mais l’important, c’est ceci : l’écologie politique, comme elle est pensée aujourd’hui, n’est plus tenable. La loi des cloches de verre, l’exclusion de l’espèce humaine des territoires, les réserves transformées en sanctuaires, l’écologie punitive, la méthode Hulot par exemple : c’est le meilleur moyen d’aller droit dans le mur. Si l’on ne travaille pas avec les gens des territoires – qui, sans être nécessairement des ‘‘spécialistes’’ des grandes théories écologiques, ont leurs compétences propres –, on ne pourra pas sortir de ce phénomène de sanctuarisation qui conduit automatiquement à l’appauvrissement de la biodiversité. Il y a un beau projet national, qui est né dans les Hauts-de-France : les Chemins ruraux. Le principe ? On a perdu à peu près 800 000 kilomètres de chemins en France depuis 50 ans. Ils restent cadastrés mais sont passés dans la forêt, les champs, etc. Sans rouvrir tous ces chemins, l’idée est de créer un nouveau maillage qui remplira plusieurs fonctions : écologique, cynégétique, économique aussi, avec le développement des activités extérieures susceptibles de stimuler l'économie rurale, comme le cyclotourisme… Cela peut être une belle vitrine en faveur des territoires, et sans le moindre risque de délocalisation. Voilà le genre de projets qu’il faut mettre en place, contre l’écologie actuelle, purement politique.
Je pense que ça dépasse le cadre de la chasse. Le problème, c’est la spirale de l’intolérance. Des gens qui n’aiment pas la chasse, il y en a toujours eu. La nouveauté, c’est que certains se sentent investis d’une mission. Ils disent : je n’aime pas la chasse, je ne veux pas que les autres chassent. Je n’aime pas la viande, je ne veux pas que les autres en mangent… et ainsi de suite. La question est la suivante : ces gens ne sont-ils pas en train de remettre en cause mes choix de vie ? Je crois que les choses vont croître en gravité ; mais je pense aussi que la prise de conscience se fait progressivement parmi les Français. Nous, chasseurs, sommes peut-être les plus exposés. À titre personnel, je reçois un nombre considérable de messages et courriers agrémentés de menaces de mort. On en est là… Mais on ne va pas se laisser faire : ce n’est pas le genre de la maison ! Nous devons, je le répète, être fiers d’être chasseurs, ne plus avoir peur, nous montrer unis et, surtout, reprendre la place qui nous revient dans la réalisation des politiques environnementales, place que nous avons trop longtemps cédée à des petits mecs habillés en vert ; sinon, nous sommes morts. Le salut de la chasse française passera nécessairement par une pratique environnementaliste. C’est le sens de notre réforme, et c’est le sens de la campagne que nous avons portée l’an dernier : ‘Chasseurs, premiers écologistes de France’’.
Mon point de départ, c’est : je ne veux pas être le président qui verra certaines espèces disparaître, non pas à cause de la chasse, mais parce que la pression de chasse, même infime, serait devenue trop importante pour une espèce fragilisée. La gestion adaptative, c’est du pragmatisme, comme le font les Américains depuis des décennies. Ce qui va trop mal doit être moins chassé ; mais ce qui va trop bien doit être chassé davantage. C’est ce qui a été validé par le président de la République. Prenons l’exemple du cormoran. 50 000 sont tirés chaque année en France. Il doit évidemment faire l’objet d’une gestion adaptative : laissons les chasseurs réaliser ces prélèvements. Par ailleurs, si les écologistes sont très hostiles à ce principe, certains cynégètes craignent quant à eux d’y perdre. Je pense, moi, que si l’on doit diminuer le tir de telle espèce parce que c’est justifié d’un point de vue écologique, il faut le faire. Mais attention : à condition que l’on traite sérieusement, à l’échelle européenne et même parfois intercontinentale, les causes des problèmes rencontrés – dégradation des zones de nidification, des aires d’alimentation, etc. La chasse ne doit pas être la seule variable d’ajustement. Les Hollandais, par exemple, ne font rien en faveur de la sous-espèce continentale de la barge à queue noire, qui est en train de disparaître et qui se reproduit pourtant chez eux. Ils laissent détruire les zones humides et ne touchent ni aux renards ni aux goélands, fatals aux petites barges. À côté de ça, ils s’époumonent au Parlement pour que les Français cessent de chasser cet oiseau. Autre exemple : la tourterelle des bois, espèce dont le nombre a été divisé par trois en 20 ans. Deux millions sont tuées chaque année en Europe, sans compter les prélèvements dus aux
filets tendus en Afrique du Nord. En France, c’est 90 000. Et on est d’accord pour réduire à 30 000, mais à condition que les autres pays, y compris l’axe Maroc/Libye, fassent aussi des efforts, et qu’une politique soit mise en place pour préserver les milieux favorables à la tourterelle, car c’est cela le vrai problème. Dernier cas de figure : l’oie cendrée. Nous nous battons pour qu’un certain nombre puisse être tiré en février. Nous avons subi une nouvelle déconvenue juridique cette année, mais nous continuerons. Parce que cette espèce doit à l’évidence faire l’objet d’une gestion adaptative.
Il le redeviendra, par la force des choses. Le loup, c’est une grande hypocrisie. On minimise leur nombre : on parle d’au moins 530 spécimens – alors qu’il y en a manifestement beaucoup plus… La France ne peut plus accueillir de populations aussi importantes. On n’est plus au XVIIe siècle. Pense-t-on aux conséquences ? D’abord sur les proies : je pense que le mouflon risque de disparaître de France et, dans certains massifs montagneux, l’ensemble des grands animaux. Autre problème : les milliers de brebis tuées par les loups chaque année. Les estives, c’est un bon exemple : c’est parce qu’il y a des troupeaux qui broutent qu’il y a des animaux sauvages et une vraie biodiversité. Retirez les troupeaux, et donc l’homme, l’espace se ferme, la végétation prend le dessus, et il n’y a plus rien. La présence du loup risque d’accentuer ce phénomène.
Je pense que 200 animaux pour la France entière, c’est un maximum. Ça fera rêver un peu les écologistes… Cependant, il faut disposer d’autres chiffres, plus fiables. C’est pourquoi nous allons lancer nous-mêmes une campagne de comptage. Ensuite, il faudra appliquer à cette espèce le principe rigoureux de la capacité d'accueil du milieu pour préserver tous les écosystèmes floristiques et faunistiques.