Combien y a-t-il de sangliers en France ? Depuis plusieurs semaines, un chiffre circule, impressionnant : celui de 3 millions. D’où vient-il ? Personne ne le sait vraiment. Nous serions presque tentés de le croire au vu des faits divers de ces derniers mois, entre le sanglier qui a déambulé dans le centre de Cahors, ou cette compagnie qui a traversé un quartier pavillonnaire de Saint-Hilaire-de-Riez, en Vendée… La liste est loin d’être exhaustive. Pour autant, ce chiffre correspond-il à la réalité, s’appuie-t-il sur une démonstration irréfutable ? Il est permis d’en douter, ce que confirme d’ailleurs indirectement le président de l’Association nationale des chasseurs de grand gibier (ANCGG), Gérard Bédarida : « À ma connaissance, il n’y a aucun moyen scientifique pour évaluer les populations de sangliers ». Toutefois, et au contraire, cela ne signifie nullement qu’il n’y a pas une croissance exponentielle des populations de bêtes noires.

Dans les faits, on peut tout au plus donner quelques indices pour tenter d’estimer cette population, à partir de deux chiffres : les dégâts agricoles (multipliés par dix en 45 ans pour atteindre 77 millions d’euros en 2019-2020) et, surtout, le tableau de chasse. Celui-ci est même la méthode la plus sûre, car, en effet, une espèce pouvant supporter un fort prélèvement possède a priori un fort effectif. Or, en 40 ans (1979-2020), le tableau a été multiplié par… 16, passant de 50 000 animaux tirés à un peu plus de 800 000. Signalons que cinq départements affichent plus de 20 000 sangliers (Loir-et-Cher, Moselle, Gard, Meuse, Hérault).
Cette explosion s’explique par de multiples facteurs. On peut citer pêle-mêle : l’absence de prédateurs (à part l’homme), la déprise agricole, la fermeture des milieux, la raréfaction du petit gibier sédentaire qui a conduit les chasseurs à s’intéresser aux bêtes noires (avec son corollaire : de strictes consignes de tir, afin de conserver une belle population), la baisse du nombre de permis de chasser, une mutation des pratiques agricoles (en particulier avec la culture intensive du maïs), qui accélère le taux de reproduction du sanglier.
À cet égard, il est bon de s’arrêter quelques instants sur son régime alimentaire. C’est un omnivore opportuniste, capable de passer de racines en sous-bois aux poubelles d’un immeuble. Ce que le grand public sait moins, c’est que, pour se reproduire, la laie doit atteindre une ‘‘masse corporelle minimale’’ (estimée entre 30 et 40 kg), qui peut survenir entre 8 et 24 mois. Bref, plus elle grossit vite (c’est le cas avec le maïs), plus elle se reproduit vite.
Ainsi, comme l’a montré une étude de 2018 du Réseau des écoles supérieures du développement durable sur les départements de la Creuse et du Territoire de Belfort (Le sanglier, un enjeu majeur pour la gestion de nos territoires), le taux moyen annuel de croissance peut varier de 80 à 200 %, hors prélèvement par la chasse. De son côté, l’ANCGG avait livré une autre étude, il y a 5 ans, démontrant qu’une population de sangliers double tous les ans en moyenne.
Ce pourcentage impressionnant peut être corrigé par les pertes hivernales : plus l’hiver est rigoureux, plus les marcassins vont souffrir (jusqu’à 70 % de mortalité). Or, depuis plusieurs saisons, les hivers sont peu rigoureux : alliés à un couvert abondant (maïs et bonnes glandées), ils provoquent une flambée de la reproduction. Autre problème qui participe au phénomène de l’explosion : le développement des zones de ‘‘non-chasse’’. Comme tout animal sauvage, le sanglier cherche la quiétude dans des lieux où il n’y a ni cyclistes, ni promeneurs, c’est-à-dire les réserves naturelles, les friches industrielles, les parcs de loisirs… Des lieux où il est quasi impossible de chasser, sauf à prendre des risques inconsidérés. Que peut-on faire face à cette situation (qui touche d’ailleurs bien des pays européens et les États-Unis), pour contenir tout à la fois les dégâts agricoles, les collisions avec des véhicules, la peste porcine africaine ? Sans compter que les sangliers, quand ils sont en surnombre, peuvent être néfastes à la biodiversité, en mangeant œufs, nichées de la petite faune… Aux États-Unis, on tire les animaux à partir d’hélicoptères ou de montgolfières. De leur côté, les Japonais ont mis au point un robot-loup… Faut-il chasser toute l’année, comme au Luxembourg ?
En France, depuis plusieurs saisons, consigne a été donnée de tirer le plus d’animaux possible. Depuis l’année dernière, il est autorisé de chasser jusqu’au 31 mars. Faut-il aller plus loin, comme d’avoir recours au piégeage (les préfets peuvent le demander, mais l’effet est très limité), de concentrer les tirs en début d’année au moment de la période de reproduction, d’autoriser le tir du marcassin (essentiel pour la régulation) ? Pour Gérard Bédarida, le monde de la chasse doit agir dans « plusieurs directions, comme d’ouvrir encore les milieux afin de permettre de les chasser davantage, de diminuer le parcellaire pour diminuer les capacités d’accueil. Des pistes qui doivent s’accompagner d’une amélioration de la filière venaison ».