Les périodes de crise sont souvent l’occasion d’éprouver la validité de nos cadres de réflexion. À l’heure où nous rédigeons ces lignes, cela est singulièrement vrai de la chasse française – comme en témoignent les divisions que l’on observe, depuis plusieurs semaines, en son sein, y compris parmi les fédérations départementales. De quoi s’agit-il ?
Il n’aura échappé à personne que, consécutivement au reconfinement décrété par le gouvernement le 30 octobre, toutes les pratiques cynégétiques ont été, dans un premier temps, et fort logiquement, interdites. Cependant, prenant note du fait que la prolifération non maîtrisée de certaines espèces constitue un facteur de risque non négligeable – dégâts sur les cultures, sécurités routière et sanitaire, etc. –, les pouvoirs publics ont décidé, avec l’assentiment des instances cynégétiques, d’autoriser, sous conditions, le tir de ces espèces –sangliers, cerfs, chevreuils, entre autres –, mais à seule fin, élément capital, d’en réguler les populations. Une telle ‘‘option’’ n’a pas été sans conséquences. Nous en dénombrons au moins quatre, passablement prévisibles a priori.
D’abord elle a provoqué, dans nos rangs, de vives tensions et incompréhensions. Contrairement à ce que d’aucuns soutiennent, les bécassiers et autres sauvaginiers ne sont pas mus par la « jalousie » ou le « ressentiment » lorsqu’ils expriment leur… perplexité, voire leur opposition, à l’égard de ces dérogations ; ils posent simplement la question suivante : comment, d’un point de vue sanitaire, une battue de grands animaux ras-semblant trente personnes pourrait-elle se justifier, tandis qu’on interdit, par exemple, à un individu ou deux de chasser au chien d’arrêt ? Question parfaitement audible, quand on sait notamment qu’en Belgique aucune pratique n’est jusque-là proscrite, dès lors que l’on n’excède pas quatre participants…
Une incohérence qui rejaillit, ensuite, sur l’image de la chasse française et sur la stratégie qu’elle défend. Tandis que l’écrasante majorité des ‘‘utilisateurs’’ de la nature demeure astreinte au confinement, la fameuse « mission de service public » apparaît comme un passe-droit accordé aux nemrods. Invoquer à ce titre le paiement des dégâts à venir, supporté par les seuls chasseurs, est, en l’occurrence, très problématique. Willy Schraen lui-même ne nous confiait-il pas, l’an dernier (voir Jours de Chasse n°77), que cette charge financière n’était plus acceptable en l’état, de même qu’il n’était plus acceptable, selon lui, que les cynégètes endossent le rôle de « pompiers de service » ? Le message envoyé à nos concitoyens est donc, pour le moins, paradoxal. Troisième effet : l’instrumentalisation de ces mesures par les adversaires déclarés de la chasse, véritables bénéficiaires de la situation. Sur la base de cette cote mal taillée, ils répètent à l’envi qu’au vu des circonstances, le lobby de la chasse a encore sévi. De fait, certains d’entre eux (Aspas, LPO…) n’ont pas hésité à attaquer les arrêtés dérogatoires en question, estimant ceux-ci incompatibles avec les restrictions sanitaires, et seulement destinés à permettre la pratique de la « chasse loisir », sous couvert de régulation – des sangliers, en particulier, dont, jugent-ils, la prolifération est en grande partie imputable à la mauvaise gestion cynégétique.Un bilan, donc, plus que contrasté. Mais la conséquence la plus inquiétante de la ratification de cette décision par les instances qui nous représentent, c’est d’avoir, ainsi, entériné l’idée que la légitimité de la chasse est avant tout tributaire des missions de service de public qu’elle sera capable de remplir – précisément à l’image du piégeage. À moyen ou long terme, cela n’est-il pas extrêmement risqué ? Car faire de la sorte la promotion de la chasse ‘‘utile’’, c’est, dans l’esprit de l’opinion, re-léguer progressivement au second plan la chasse passion et la chasse culture, socles de l’identité cynégétique, au profit d’une activité « d’intérêt général » qui, en temps de crise, comme aujourd’hui, nous dessert, nous divise. Or – et il y a beau temps que nous le répétons dans nos colonnes ! –, la régulation, le travail de conservation et même la veille sanitaire ne doivent pas être considérés comme premiers par rapport à l’acte de chasse ; ils en sont des conséquences – certes importantes, certes nécessaires –, mais non les causes pro-fondes. À défaut, révisons dès maintenant notre vocabulaire : prétendons-nous régulateurs, conservationnistes, sentinelles. Pas chasseurs.
Inédite, la crise que nous traversons nous oblige à repenser les fondements de notre passion, de notre culture, à les réaffirmer pour eux-mêmes, et à remettre en question l’argumentation lacunaire qui, depuis des décennies, nous tient lieu de ‘‘communication’’. N’oublions pas que la plupart de nos détracteurs réclament avec insistance que soient retirées des espèces chassables toutes celles qui ne causent aucun dégât. La cohérence de leur discours n’est-elle pas inversement proportionnelle à la nôtre ?