Le 10 septembre, à l’initiative du collectif ‘‘Un jour un chasseur’’, une
pétition intitulée ‘‘Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça !’’ a été déposée sur le site dédié du Sénat. La loi prévoit, en effet, que si « au moins 100 000 signatures » sont recueillies « dans un délai de 6 mois », la
ou les pétitions ainsi déposées « sont transmises à la Conférence des Présidents », laquelle « peut décider d’y donner suite (création d’une mission de contrôle, inscription à l’ordre du jour d’un texte législatif, débat en séance publique…) ». Or, le 9 novembre, alors que le seuil n’était pas encore franchi (il l’est depuis), le Sénat a annoncé se saisir de ladite pétition.
Que réclame dans son texte ce collectif – qui fut créé après qu’un homme, Morgan Keane, 25 ans, avait été tué accidentellement d’une balle de carabine tirée par un chasseur, le 2 décembre 2020 ? En substance, il réclame : « l’interdiction de la chasse le dimanche et le mercredi, sur l’ensemble du territoire français, et sans possibilité aucune de dérogation. […] Rappelons que nos voisins européens ont, pour la plupart, adopté au moins un jour hebdomadaire sans chasse. Par exemple, au Royaume-Uni, la chasse est inter-dite le dimanche depuis 1831. Aux Pays-Bas, la chasse est également interdite le dimanche, ainsi que dans plusieurs États d’Allemagne, cantons suisses et régions espagnoles », ce qui n’est que très partiellement vrai ; « une formation plus stricte et [un] renforcement des règles de sécurité », avec, notamment « l’instauration d’une zone de protection autour des habitations égale à la portée maximale des armes utilisées », ce qui, on le conçoit aisément, limiterait les surfaces chassables dans des proportions absolument gigantesques ; un « contrôle et [un] suivi des armes de chasse et des comportements à risque. […] Combien d’homicides et de féminicides com-mis avec des armes de chasse par des personnes qui les détenaient de manière complètement légale ? […] Étant donné la facilité d’acquisition et de détention d’armes en France via le permis de chasse, celles-ci doivent être contrôlées et leurs détenteurs suivis » (questions : la fallacieuse association armes de chasse/homicide-féminicide ne relève-t-elle pas du sophisme pur et simple ? De plus, la détention d’armes n’est-elle pas déjà extrêmement encadrée dans notre pays, contrairement à ce que ce texte sous-entend ?) ; ensuite, la pétition réclame « des sanctions pénales systématiques en réponse à tout incident survenu lors d’une action de chasse : la possibilité du retrait immédiat du permis de chasser, l’interdiction de détenir ou d’acquérir une arme, des dédommagements et intérêts conséquents et des peines d’emprisonnement strictes et fermes », afin d’enrayer, lit-on, « la banalisation de la mort par arme à feu, une banalisation inacceptable dans notre pays au XXIe siècle » ; puis, pour terminer, la « libération de la parole » des « victimes et/ou proches des victimes des chasseurs » par la création d’un « espace d’expression » adéquat, et la « reconnaissance officielle et publique des victimes de la chasse par l’État, ainsi que la mise en place systématique d’un soutien psychologique et financier ». C’est donc sur la base de ces… ‘‘suggestions’’ que le Sénat, par le biais d’une mission conjointe entre la commission des affaires économiques et la commission des lois, s’est engagé, d’une part, à entendre toutes les parties prenantes (promoteurs de la pétition, chasseurs, etc.), et, d’autre part, à réfléchir à la nécessité de propositions concrètes, susceptibles de revêtir une dimension législative. Inutile de nous attarder sur les intentions réelles d’un tel texte, émanant d’un tel collectif : spécialisé dans le recueil de témoignages antichasse bruts, non vérifiés et invérifiables, ‘‘Un jour un chasseur’’ n’exige rien d’autre que l’abolition de toute cynégétique. Cela dit, s’il nous est permis d’espérer que le Sénat examine ces ‘‘préconisations’’ avec mesure et raison, nous ne pouvons nous empêcher de voir, dans la possibilité même de soumettre une pétition aux parlementaires par le simple franchissement d’un seuil de signatures électroniques, une dérive inquiétante de l’appareil institutionnel démocratique. Outre les fraudes potentielles (quel groupe d’activistes ne compte aujourd’hui dans ses rangs quelque petit génie de l’informatique ?), il est parfaitement loisible de se demander si nous n’assistons pas là à une altération préoccupante de la légitimité de notre système de représentation. N’ouvre-t-on pas ainsi la porte, en effet, aux revendications de tout ce que notre pays abrite de mouvements minoritaires radicaux, quel que soit le sujet concerné ? À vouloir à toute force proposer de la ‘‘démocratie participative’’, ne risque-t-on pas de favoriser un système per-nicieux, uniquement fondé sur la concurrence des doléances et des plaintes – et incompatible, à terme, avec l’exercice politique ? Des questions qui méritent sans doute d’être posées…