Un pavé dans la mare de la conservation de la nature. Ainsi se veut l’ouvrage de Guillaume Blanc, historien de l’environnement et spécialiste de l’Afrique. Si la légitimité des aires protégées en tant que réservoirs de biodiversité dans les différents pays du continent ne peut être remise en cause, l’auteur propose une réflexion intéressante sur les conditions de création et de maintien de ces enclaves de nature. Héritage de l’époque coloniale, les parcs d’aujourd’hui sont la matérialisation d’une vision occidentale «  néo-malthusienne  » d’une nature fantasmée et inchangée, vierge de toute présence humaine. Or, cette Afrique-là n’a jamais existé, mais a été créée de toutes pièces par les administrations coloniales, remplacées après les indépendances par des organismes internationaux paternalistes. Loin de l’harmonie qu’ils suggèrent, ces espaces de nature sont des lieux de violence où des peuples autochtones, culpabilisés de détruire l’environnement par leurs activités agropastorales, sont expulsés et martyrisés pour satisfaire ce mythe de l’Éden véhiculé par les bonnes consciences occidentales qui ont pourtant, chez elles, détruit leurs propres espaces de nature. À travers l’histoire très documentée du parc du Simien, en Éthiopie, l’auteur dresse un portrait peu complaisant de cette nouvelle forme de colonialisme écologique. L’Unesco, le WWF et l’UICN en prennent pour leur grade, accusés de sanctuariser la nature par la violence et le racisme. L’argumentaire est bien construit, mais en se focalisant sur le cas spécifique du Simien, le propos perd en puissance. Les problématiques de braconnage et les conflits homme-faune sont bien différents selon les pays d’Afrique. Extrapoler les conclusions tirées d’un cas précis à tous les parcs africains semble présomptueux. L’auteur déconstruit les mécanismes de cette conservation impérialiste, « injuste » et « immorale », et pointe du doigt très justement l’impossible entente et la conception divergente qu’ont de la nature les gouvernements, les conservationnistes, les touristes et les habitants. Qualifiant les tentatives de conservation communautaire de « fiction », il ne livre en revanche aucune piste alternative pour la préservation future des espaces naturels, semblant écarter la menace pourtant explosive de la démographie du continent. Or, et cela n’est pas discutable, pour nombre d’espèces, notamment les grands prédateurs, le partage des habitats avec l’homme demeure une utopie.

Flammarion, 343 pages, 21,90 €.