Fort des 13,47 % d’Europe Écologie les Verts (EELV) aux dernières élections européennes, Yannick Jadot, sa tête de liste, s’impose en force dans le paysage politique français. Feu de paille ou tendance durable (sans mauvais jeu de mots !) ? Personne n’est en mesure de le dire. Une chose est certaine : Yannick Jadot est un écologiste pur et dur, un idéologue dans la droite ligne de la pensée verte la plus brutale. La chasse n’échappe évidemment pas à ses réflexions. Bien au contraire. Souvenons-nous de sa lettre ouverte au président de la République, parue dans Le Parisien du 3 novembre dernier (et réapparue opportunément sur Internet ces derniers jours), au sein de laquelle il pourfendait, dans une longue diatribe, le soutien d’Emmanuel Macron à la chasse. Entretiens, tweets… Yannick Jadot a réitéré, depuis, ses propos, et il y a fort à parier que, porté par sa popularité, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin… Tous les moyens sont légitimes afin d’apparaître comme la seule force de gauche. À commencer par l’instrumentalisation de l’opposition à la chasse sport national de l’écologisme français s’il en est. Voilà pourquoi nous avons jugé nécessaire de lui répondre.
Personne n’a jamais nié, Monsieur Jadot, votre intelligence, votre habilité dialectique ou votre sens de la rhétorique. Cependant, quel formidable marché de dupes nous livrez-vous là ! La ficelle est grosse, le masque épais, la recette éculée… Au vrai, vous êtes sans surprise : seules les proportions de votre mauvaise foi sont éclatantes. Pour le reste, sans vergogne, ni vertu, vous vous confinez dans l’incantation et l’imprécation, enrubanné de bons sentiments. Ou quand l’émotion est au service de l’imposture démagogique… Avec la foi du charbonnier et l’intransigeance du doctrinaire, vous égrenez approximations sur approximations. Derrière la candeur presque touchante que vous affichez, se dissimule en réalité une démonstration plus que simpliste, où les nuances n’ont pas droit de cité. Jamais, ô grand jamais, vous ne voulez aborder les faits. Et pour cause : les faits sont têtus ; ils ruinent les fondations de vos belles constructions intellectuelles.
Vous avez affirmé doctement : « La ruralité, ce n’est pas la chasse. Et cela ne l’a jamais été ». Évidemment, elle n’est pas ‘‘la’’ ruralité, mais comment nier qu’elle n’en soit partie intégrante ? Avez-vous oublié qu’il y a trois générations la France était essentiellement rurale, et que, de ce fait, la chasse était un prolongement naturel de l’existence des campagnes ?
Vous avez écrit que cette même campagne est aux mains de « saigneurs » (sic !) – les chasseurs – « qui en jouissent pour la mettre à mal et l’exploiter ». C’est une bien curieuse interprétation du droit français que vous faites là. Outre que la chasse, jusqu’à preuve du contraire, est légale dans notre pays, qu’elle est très encadrée, que le droit de chasse est un attribut du droit de propriété – ce fut même la volonté d’un homme, Robespierre, peu connu pour être un conservateur acharné ! –, vous sous-entendez que les chasseurs, brutes assoiffées de sang, mettraient en coupes réglées tout intrus, c’est-à-dire les autres usagers de la nature. N’avez-vous pas entendu parler de la convention signée, l’année dernière, entre la Fédération française des randonneurs et la Fédération nationale des chasseurs ?
N’étant pas à une énormité près, vous écrivez que les chasseurs ont réussi à faire évincer du gouvernement Nicolas Hulot, qui, lui, « protège le vivant ». Vous insinuez donc que les chasseurs ne protègent celui-ci en aucune façon, qu’ils ne sont en somme, cliché usé jusqu’à la corde, rien d’autre que des porteurs de mort. Avez-vous songé un instant que s’il n’y a plus de gibier, il n’y a plus de chasse ? Avez-vous songé un instant que, sans chasse, il n’y aurait plus de gibier ? Ne vous en déplaise, nombre de chasseurs sont, pour cette raison, des gestionnaires de la faune. De la petite, d’abord, n’économisant ni leur temps ni leur argent pour récréer les biotopes malmenés par la révolution agricole et favoriser la sauvegarde des lièvres, lapins, faisans et autres perdrix grises. Or, quand il y a du petit gibier, il y a la fameuse ‘‘biodiversité’’, dont vous voulez à toute force nous faire croire que les écologistes sont les seuls garants. Plus encore : votre famille politique n’a-t-elle pas été d’un silence coupable, lorsqu’il s’est agi de sauver les zones humides en France, et que les chasseurs tentaient, contre vents et marées, de préserver ce qu’ils pouvaient ? Combat futile, jugez-vous peut-être : mais avez-vous oublié que ces zones servent de filtres contre la pollution ?
La grande faune ? Savez-vous que, s’il y a aujourd’hui tant de grands animaux en France, c’est aux chasseurs qu’on le doit et à eux seuls – plus précisément à une poignée d’entre eux ? Ils s’appelaient, entre autres, François Sommer ou Claude Hettier de Boislambert. Impressionnés par la gestion germanique des grands animaux (qui soumet le tir à la densité des populations), ils ont convaincu les pouvoirs publics d’appliquer le même système en France : ce sera le plan de chasse, expérimental en 1963, puis généralisé dès 1978. Ignorez-vous que l’on doit la création même du ministère de l’Environnement, non à un glorieux descendant de Mai 68, mais à Georges Pompidou, chasseur passionné que François Sommer avait su convaincre de créer une telle charge ? Nous sommes en 1971. D’une manière plus générale, le monde cynégétique a participé et participe toujours, sans relâche, à de nombreuses recherches scientifiques sur la faune. Il n’est, là encore, pas le seul, mais, de grâce, cessez de minorer son rôle pour complaire aux ignorants ! Dans le même esprit, autre exemple : rappelez-vous que la Ligue de protection des oiseaux fut fondée en 1912… par des chasseurs ! Vous ne voulez pas comprendre que si la chasse est une passion, notre passion, elle implique aussi de nombreux devoirs, que nous assumons : ceux de préserver, de gérer et d’agir. Dans votre réquisitoire façonné à la hache pour imprimer les esprits urbains, vous abhorrez les chasses présidentielles, qui ne sont là que « pour satisfaire quelques dictateurs en mal de contrats d’armement» : formule lapidaire dont vous êtes sûrement fier et qui pourtant, là encore, est à des années-lumière de la réalité. Oui, la chasse d’État reste un instrument du pouvoir, des affaires et de la diplomatie. Certes, Chambord a reçu quelques politiques parfois peu enclins à respecter les principes de la démocratie. Oui, Chambord reçoit toujours des présidents de fédérations de chasse, des parlementaires
de tous bords, de tous poils et de tous horizons… C’est-à-dire des représentants de cette France périphérique dont vous ignorez l’existence. Au-delà de l’aspect politique, savez-vous que Chambord est un centre de recherche faunistique de premier ordre, et que de nombreux cerfs de France sont originaires du Domaine ?
Exagération, mauvaise foi et cliché encore, quand vous évoquez les accidents. À vous lire, il y aurait des centaines de morts chaque année ! Les faits ? Lors de la dernière saison, il y a eu sept décès à déplorer, soit le chiffre le plus encourageant de ces vingt dernières années, en raison d’une meilleure formation à la sécurité. Bien évidemment, on ne peut s’en satisfaire, et les chasseurs responsables doivent être durement sanctionnés. Nous ne sommes pas, loin de là, des hommes parfaits ; mais vous savez que la perfection n’est pas de ce monde. Au fond, si la chasse vous gêne par tous ses pores, c’est parce qu’elle représente la tradition, la transmission de savoirs ancestraux qui contreviennent à vos ‘‘modernes’’ conceptions, et parce qu’elle suppose un contact permanent avec la mort, cette mort dont on ne souffre plus aujourd’hui la réalité qu’à travers le filtre des ‘‘écrans’’ au sens large, et qui, pourtant, fait partie du « vivant », notion que vous affectionnez.
À cet égard, citons l’actuel président du Sénat, Gérard Larcher, homme peu connu pour être un va-t-en-guerre : « Rurale, notre société admettait la mort ; urbaine, elle la rejette. Aussi, quand le chasseur ôte la vie, non par nécessité alimentaire qui n’a plus lieu d’être, c’est l’indicible qui rejoint la perfidie… » La nature est cruelle, et souvent bien ingrate. Si vous avez cinq minutes, lisez le petit opuscule du philosophe espagnol Ortega y Gasset intitulé Sur la chasse, livre qui a d’autant plus de force que son auteur n’était pas chasseur mais n’avait, lui, aucun a priori. Contrairement à vous.
En somme, vous semblez moins soucieux de défendre la libellule que désireux de renverser l’ordre établi pour bâtir un monde pur, propre et parfait – issu, bien entendu, de la seule vision du monde qui soit de votre goût, celle-ci dût-elle n’avoir rien de commun avec la réalité… Relisez donc Le Meilleur des mondes d’Huxley ! Et, puisque vous vous piquez d’être un écologiste de terrain, sachez que nous vous convions à la chasse lorsque vous le souhaiterez ; cependant, si notre porte et nos colonnes vous sont ouvertes, nous ne pouvons nous empêcher de nourrir les plus grands doutes quant à votre désir d’être réellement confronté à la ruralité et à la chasse telles qu’elles sont, et non telles que vous voudriez qu’elles soient. À vous de nous montrer qu’il n’en est rien…