Il est des livres qui tout à la fois nous instruisent et nous émeuvent. Celui-ci en fait assurément partie. Au gré de 150 photographies colorisées de main de maître par François Montpellier et soigneusement choisies, l’ouvrage de Jean-Marc Moriceau – professeur à l’université de Caen-Normandie, et historien bien connu des campagnes de notre pays – nous plonge dans le quotidien de ces hommes et femmes qui furent les ‘‘acteurs’’ principaux de « l’histoire rurale  » française, grosso modo de 1880 à 1960. Ce recours à la couleur, auquel certains sont parfois rétifs, est ici une véritable réussite, dans la mesure où, grâce à lui, c’est un peu de notre regard qui se trouve ‘‘bousculé’’ et amené à réinterpréter notre rapport au passé. « Sans conteste, avec la couleur, la capacité de suggestion est décuplée », écrit à juste titre l’auteur. « En rendant aux campagnes d’hier les couleurs qu’elles ont perdues, c’est tout un monde qui resurgit sous nos yeux », un monde dont le noir et blanc photographique originel occultait, en quelque sorte, l’infinité des détails – qu’il s’agisse d’un outil, de l’expression d’un visage, ou même des conditions météorologiques réelles de telle scène. Précieux témoignage de ce que fut la vie de nos aïeux (« En 1880, deux Français sur trois vivaient encore dans les campagnes »), source de plaisir esthétique aussi, cette habile sélection de clichés nous conduit tantôt en Bretagne – « entre terre et mer » –, tantôt au cœur des villages d’Auvergne, dans le Nord, dans Les Landes, etc., lors de la moisson, lors des fêtes et autres processions, sur les chemins de halage, près des lavandières, sur les bancs de l’école communale, à la chasse, parmi les vignes, dans les foires aux bestiaux, chez le maréchal-ferrant, au sein des maisons, des fermes… En outre, au fil des pages, Jean-Marc Moriceau guide très opportunément notre lecture par d’importants éclairages historiques qui permettent non seulement de mieux percevoir l’intérêt ‘‘documentaire’’ de ces photographies, mais aussi d’appréhender l’évolution et les profondes mutations dont les territoires ruraux français ont été l’objet durant ces quelque 80 ans d’existence (ponctués par deux conflits mondiaux, par la mécanisation, la motorisation, la ‘‘modernisation’’ pour le dire d’un mot). Un superbe hommage au(x) monde(s) paysan(s) d’antan, si bagarré(s).

Les Arènes, 244 pages, 29,90 €.