Partir à l’aventure, sillonner en canoë les lacs du Canada durant un mois, loin de toute civilisation… N’est-ce pas là le projet idéal pour renouer les liens distendus d’un père divorcé et de ses deux jumeaux ? Al et Trig, respectivement soeur et frère, d’abord sceptiques à l’endroit de cette requête, décident d’y consentir, tout en s’interrogeant quant à la date du départ – novembre n’étant pas, là-bas, le mois le plus propice pour randonner en pleine nature. Le Lac de nulle part est un roman d’atmosphère, un suspense psychologique, aussi. La narration alterne le point de vue de Trig – dont l’angoisse monte avec le froid, qui s’invite très vite alors que le trio semble se perdre dans un labyrinthe d’eau et de forêt –, celui de Dory, la mère des jumeaux, inquiète de ne parvenir à les joindre (elle ne sait rien de leur périple), de Chad, enfin, ranger du secteur, soucieux d’avoir laissé partir la famille malgré la saison tardive. Pete Fromm, lui-même ancien ranger, sait parfaitement de quoi il parle. L’aventure ne sera pas si belle, les tensions et secrets feront ou referont surface. Le père, d’ordinaire si rigoureux, semble complètement dépassé : « On tourne en rond depuis qu’on est partis. On n’avance jamais dans la même direction. Je ne sais de quel côté se couche le soleil. […] On est où ? », interroge Trig. « Heu… On est… On est… Je me suis emmêlé les pinceaux avec Lonely Lake… » « Lonely Lake ? Papa, c’était il y a une semaine »… Le lecteur assiste, impuissant et grelotant, au rituel immuable et incertain des jours et des nuits, comprend l’importance vitale des « portages » (haltes entre deux lacs) et du rationnement, s’initie aux techniques de pêche, elles aussi vitales, éprouve la terreur que la rencontre du grizzli peut inspirer, mais aussi celle de se savoir égaré en milieu totalement sauvage… « Lorsque nous débouchons sur le lac suivant, sans surprise, je ne reconnais absolument rien. Le monde […] consiste en une succession ininterrompue de pins et de sapins noirs et verts […]. La mince éclaboussure blanche qui s’étire à nos pieds ne signale rien d’autre que la surface d’un énième lac. Al s’immobilise à mes côtés. Je retiens mon souffle dans l’attente de son verdict. – Merde. J’espérais autre chose… » Un huis clos au très grand air, intense, et dont l’épilogue ne décevra pas.