« C’était mieux avant… » Depuis quelques mois, sinon quelques années, c’est une petite musique qui revient, insistante, lancinante, dépassant
la seule affaire d’une nostalgie stérile. Jean-Luc Salles – auteur de Boulo, chien de sangliers (voir Jours de Chasse n°80) – est de cette veine-là. Il ne faut pas y chercher théorie fumeuse ou démonstration magistrale, mais seulement une histoire, celle de l’auberge de son grand-père. À la manière
d’un film de Sautet, nous voici plongés de façon vertigineuse dans la France de l’après-guerre, celle des années 50 et 60, dans la Gâtine tourangelle. Une France qui n’avait pas beaucoup bougé depuis la Révolution, une France rurale, avant que n’arrivent le productivisme et la société de consommation. Cette auberge dite du Signal est le témoin de cette époque-là, où se retrouvaient paysans, voisins, chasseurs, veneurs (de l’équipage Champcevrier) et braconniers. Avec verve, humour, Jean-Luc Salles nous fait vivre ce temps-là. On y parle fort, on organise des chasses, on les relate, on y boit, bien sûr (on note avec effroi l’arrivée du « visky », « signe avant-coureur de cataclysmes »). Ce sont les souvenirs d’un enfant qui découvre
la campagne, la chasse, la vénerie, la forêt et ses habitants… Jean-Luc Salles nous livre, dans un style plein de verve et de drôlerie, des figures de boit-sans-soif hauts en couleur (dans tous les sens du terme !), des femmes admirables de courage… Il évoque longuement la fête du Signal, qui deviendra une fête de la chasse, la première du genre. Et après ? Tout cela a été balayé par les Trente Glorieuses. L’auteur ne cache pas sa détestation pour le monde d’aujourd’hui : « Il faut croire que ce progrès tant vanté n’était peut-être pas l’eldorado tant espéré… Que d’erreurs ont été commises… Ainsi vont les choses, mais pas forcément dans le bon sens… Cette génération maudite, rejetant en bloc tout ce qui rappelait une tradition millénaire se plaît à redécouvrir les vertus d’une vie plus proche de la nature… Elle qui a si bien œuvré à sa destruction… » Car cette auberge était, à bien des égards, le témoignage de la France de Le Nain et de Poussin, de Villon et de Péguy.

Markhor, 195 pages, 22 €.