Voici un ouvrage que toute personne attachée à la richesse des rapports de l’homme et de la nature devrait s’empresser de lire et de méditer – le chasseur, au premier chef ! Directeur d’études à l’EHESS, membre du Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France et spécialiste des sociétés sibériennes, son auteur, Charles Stépanoff, nous livre en effet au fil de quelque 400 pages le produit d’une vaste enquête menée notamment dans le Perche, la Beauce et les Yvelines, et visant, entre autres, à éclairer les relations paradoxales que « le monde occidental moderne » entretient avec son environnement naturel mais aussi avec les animaux, entre, d’un côté, le principe de « l’exploitation productiviste » et, de l’autre, l’approche « bienveillante » de la « protection » – un « dualisme » fondamental qui permet, en outre, de comprendre com-ment notre société organise et pense l’exercice de la violence au sein d’« un équilibre moral sans cesse renégocié ». Or, à cet égard, écrit-il, « la chasse s’avère […] un révélateur exceptionnel de la complexité des rapports écologiques et cosmopolitiques de l’Occident à ses altérités non humaines », et cela est d’autant plus vrai qu’elle « entre en contradiction flagrante avec le dualisme exploitation-protection », ce qui explique en partie, par ailleurs, pourquoi sa légitimité est aujourd’hui singulièrement remise en cause. Si Charles Stépanoff, non chasseur lui-même, précise qu’il ne s’agit pas pour lui « de dire s’il est bien ou mal de chasser », il estime cependant qu’« à l’heure où nous sommes de plus en plus nombreux à nous interroger sur la viabilité et le sens de nos modes de vie face aux désastres qui s’annoncent, il serait sage d’accorder aux formes minoritaires de rapports au vivant curiosité et observation attentive avant d’entériner leur extinction ». Ainsi nous propose-t-il une solide réflexion mêlant anthropologie, histoire, préhistoire, philosophie, naturalisme et enquêtes de terrain auprès de chasseurs mais également d’antichasse, comparant, par exemple, les « cosmologies » propres aux peuples chasseurs-cueilleurs qu’il a étudiés et celles qui prévalent sous nos latitudes, soulignant la porosité parfois surprenante des représentations de l’animal et de sa mort chez les cynégètes et leurs opposants, examinant avec force détails et documentations la perception de la chasse à travers les évolutions sociologiques et politiques, et, enfin – sans que ces quelques mots ne puissent prétendre à l’exhaustivité ! –, ne reculant devant aucune question, si ardue soit-elle, pour aller aussi loin que possible dans l’exploration de son sujet, comme lorsqu’il écrit, au début du chapitre 14 : « Il doit y avoir autre chose dans le plaisir de la chasse, quelque chose de subtil et de difficilement exprimable par le langage, que je voudrais tenter ici d’approcher ». Un volume tout simplement remarquable – indispensable !

La Découverte, 400 pages, 23 €.