En 1890, paraît le Manuel de vénerie française du comte Le Couteulx de Canteleu (1827-1910). Devenu un grand classique, ce traité n’est pas que le fruit de la plus pure tradition héritée des chasses royales. Le Couteulx, en effet, est un novateur, qui va appliquer à la vénerie les méthodes audacieuses mais rigoureuses qui ont fait la fortune de sa famille (à cet égard, nous renvoyons le lecteur au portrait que nous avions consacré à ce grand cynégète : Jours de Chasse n°60, été 2015).
Chasseur à courre passionné, notamment du loup, Le Couteulx est aussi un théoricien qui désire les meilleurs chiens et les meilleurs chevaux. Il s’emploie non seulement à l’amélioration des races de chiens courants en apportant du sang anglais, mais également à les classer et à déterminer les plus adaptées à chaque gibier. Dans son élevage, il travaille aussi à l’amélioration des chevaux et adapte leur dressage à la vénerie. Soucieux de partager ses connaissances en matière de techniques de chasse et d’élevage, il entreprend de les synthétiser dans un premier ouvrage, La Vénerie française (1858), véritable encyclopédie qui fait une large place aux chiens courants. D’ailleurs, les 14 planches de l’ouvrage, confiées à d’excellents illustrateurs, Louis Godefroy Jadin, Octave Penguilly L'Haridon et le baron de Noirmont, ne représentent que des chiens. L’ouvrage est tiré à petit nombre et Le Couteulx signe tous les exemplaires qu’il offre à ses amis veneurs. Trois ans plus tard, sort La Chasse du loup, premier grand traité sur le sujet depuis le Clamorgan, publié au milieu du XVIe siècle. Là aussi soucieux de l’illustration de son texte, il choisit un procédé révolutionnaire, la photographie, et un jeune artiste prometteur, Léon Crémière, pour réaliser les huit photographies qui seront tirées à 150 exemplaires et collées une à une dans l’ouvrage ! Lui aussi édité pour un cercle restreint d’amis et de passionnés, ce livre devient l’un des trésors de la bibliophilie cynégétique du XIXe siècle et une pièce de choix parmi les livres français illustrés par la photographie.
S’il délaisse un peu la chasse pour publier en 1863 une large étude sur les sociétés secrètes, il élargit par la suite son audience avec un petit texte paru en 1867 sur La Condition des chevaux de chasse en France. L’ouvrage connaît le succès et sera réédité deux fois avant la fin du siècle. Toujours dans cet esprit, il publie en 1873 un bel ouvrage sur Les Races de chiens courants français au XIXe siècle, illustré de 12 planches gravées sur bois. Esprit curieux, il se passionne également pour la fauconnerie, qu’il tente avec quelques autres de relancer en France. Il pratique en outre la pêche au cormoran, art ancestral venu du Nord de la Chine, à l’aide d’oiseaux qu’il a dressés dans son parc. Souhaitant toujours partager ses expériences et ses théories, il publie en 1870 un traité sur le sujet, tiré à 100 exemplaires. Enfin, en 1890, il rassemble toutes ses connaissances dans le fameux Manuel de vénerie française (réédité en 1902). L’ouvrage s’inscrit dans la lignée des Du Fouilloux, Salnove, d’Yauville ou Le Verrier de la Conterie, celle des traités de vénerie qui ont chacun marqué leur siècle. Paru lors de l’âge d’or de la vénerie, il en dresse un panorama complet. Promis à une large diffusion, ce texte est publié chez Hachette qui n’hésite pas à faire imprimer des affiches publicitaires destinées aux libraires ! L’auteur et l’éditeur font aussi appel aux meilleurs illustrateurs du moment, Bodmer, Olivier de Penne ou Crafty. Le Couteulx innove en dressant la première liste complète des équipages donnant le détail de la meute et la description du bouton, sorte d’annuaire de vénerie avant l’heure. Tout à fait dans l’air du temps, ce manuel se pare aussi de la jolie couverture en couleurs, typiquement art nouveau, dessinée par Frédéric Florian et imprimée par Draeger, de la “Bibliothèque du sport” qu’Hachette a lancée à l’instar des grandes collections britanniques.