Le 8 janvier 1973 disparaissait François Sommer. Mais qui le connaît encore ? Quelques vieux gaullistes se souviennent du compagnon de la Libération et de l’industriel chevronné. Certains cynégètes ont en mémoire le chasseur passionné, le collectionneur averti et la fondation qui porte son nom. Tout cela est vrai, mais ils n’ont peut-être pas pris conscience que François Sommer, à la lumière des attaques qui touchaient déjà la cynégétique, a voulu faire entrer la chasse dans le XXIe siècle sans renier son essence. À ce titre, les chasseurs français lui doivent beaucoup. C’est peut-être André Malraux, ami indéfectible de François Sommer et de sa femme Jacqueline, qui l’avait cerné le mieux, dans l’une de ces fulgurances dont il avait le secret : « une énergie opiniâtre au service apparent du passé ».
S’il n’avait pas eu cette énergie au service d’une grande intelligence, il n’aurait probablement été qu’un homme de bonne famille, à la vie aisée et toute tracée, dans ses terres ardennaises. Certes, dès avant la guerre, ses passions étaient, entre autres, la chasse (déjà !), l’aéronautique (il pilotera lui-même), l’Afrique… Mais lorsque le second conflit mondial éclate, il ne se dérobe pas et s’illustre brillamment avec, notamment, le célèbre Groupe Lorraine, participant à de nombreuses missions de bombardement. La Résistance, la Libération… C’est là qu’il se liera avec quelques-uns des personnages qui joueront un rôle important dans la vie de sa fondation. Il reprend avec son frère l’entreprise familiale, dans un état guère florissant, puis, seul, la direction, lançant de nouveaux produits (comme le Tapiflex en 1952)… Le succès est tel que Sommer SA est cotée à la Bourse de Paris. En parallèle, il est l’un des pionniers de la politique sociale du général de Gaulle, mettant en place le principe de la participation aux revenus de l’entreprise. En homme avisé, sans descendance et se sachant malade, il rapproche Sommer de la société Allibert, qui devient Sommer-Allibert en 1972. Ses qualités, François Sommer les mettra tout autant au service de la préservation de la chasse et de la vie sauvage, fil conducteur de son existence. François et Jacqueline (qu’il épousa en troisièmes noces, en 1949) ont une dévotion quasi religieuse pour la chasse, à la fois sport, art et manière de vivre. Ils chassent beaucoup : à Belval bien sûr, pour François depuis 1925, où ils invitent tous les grands de ce monde ; en Europe, en Afrique, d’où ils rapportent force trophées que le public peut
encore admirer.
Qu’on ne s’y méprenne pas. La chasse et le tir ne sont, pour eux, que l’ultime conclusion de tous les actes qui les ont précédés. Précurseur, visionnaire, François Sommer comprend dès après la guerre que, si la chasse française a quelque chance de garder ses lettres de noblesse, c’est à la condition que ses adeptes soient en même temps des protecteurs et
gestionnaires irréprochables. Si la chasse est plaisir, elle implique maints devoirs. Ainsi, dès 1930, à Belval, avait-il expérimenté des méthodes de gestion du chevreuil. Après guerre, il chasse avec Claude Hettier de Boislambert (voir Jours de Chasse n°81) dans les forêts rhénanes. Tous deux sont impressionnés par la discipline germanique : c’est le fameux plan de chasse.
Dans cet esprit, il fonde l’ANCGG avec Boislambert, Robert Flament-Hennebique, Fernand Verdeille (sénateur socialiste du Tarn, futur auteur de la loi de 1964 sur les ACCA). Sans relâche, il imposera peu à peu l’idée d’un tir sélectif. En 1963 – contre l’avis des fédérations de chasse, et harcelant l’administration ! –, il fait accepter l’idée d’un plan de chasse à titre expérimental, qui sera généralisé en 1978, avec le succès que l’on connaît. C’est encore lui qui convaincra Georges Pompidou de créer un ministère de l’Environnement, « ministère de l’impossible » selon Robert Poujade, son premier titulaire (on dit d’ailleurs qu’il fut d’abord proposé à François Sommer). C’est toujours lui qui suggère une réforme du permis de chasser (avec une meilleure formation), qui réclame l’interdiction des chevrotines, la mise en place de chasses-pilotes, qui soutient la loi Verdeille… La prise de conscience a eu lieu, mais François Sommer a deux générations d’avance.
Pour François et sa femme (qui créa l’Association sportive de la chasse photographique), chasse et beaux-arts sont étroitement liés. Avant la guerre, il acquiert quelques ouvrages cynégétiques anciens, puis, plus tard, des œuvres d’art dont des Desportes, avec l’aide de Georges de Lastic, l’homme lige du Musée de la vénerie de Senlis. De tableaux en tableaux, d’objets en objets (plus de 3000 !), et meurtri par l’absence de descendance, lui vient l’idée d’une fondation et d’un club… Homme pressé, François Sommer ouvrira la Maison de la chasse et de la nature en 1967, et le Club la même année (qui compta jusqu’à 1400 membres). Un an avant sa disparition, il rédige sept pages de testament sur ce que devait demeurer son œuvre : un « centre de propagation artistique en faveur de la chasse et de la nature vivante », qualifiant clairement sa Fondation d’« université de la chasse ».
