On ne le répétera jamais assez : le manichéisme est l’un des grands travers de notre temps… Or, c’est avec brio que Colin Niel évite ici ce pénible écueil, en nous offrant un polar original, efficace et fort documenté (d’abord publié aux éditions du Rouergue en 2020, puis, cette année, au Livre de poche). L’intrigue ? Contentons-nous de l’esquisser, sans risquer de déflorer des rebondissements et un dénouement qui méritent assurément de n’être pas ‘‘divulgâchés’’, comme le disent, en bon français, les Québécois. Martin, garde au parc national des Pyrénées, est notamment chargé de la surveillance du dernier ours brun de la région. Las, les indices de présence brillent… par leur absence : des chasseurs auraient-ils tué le plantigrade ? Notre homme en est persuadé. Taciturne, quasi misanthrope, Martin est un peu plus qu’un sympathisant de l’activisme antichasse. Un jour, il découvre sur Facebook la photo d’une jeune femme posant à côté d’un lion mort, arc en main. Quelque chose sur ce cliché l’interpelle (nous ne dirons pas quoi…), et peu d’éléments trahissent l’identité de la Diane. Il décide de mener l’enquête, afin de livrer celle-ci en pâture aux réseaux sociaux – selon une méthode, hélas, bien connue aujourd’hui… Mais que s’est-il vraiment passé, quelques semaines plus tôt, sur le sol namibien où fut poursuivi ce fameux lion ? Tout l’art de Colin Niel (ingénieur des eaux et forêts, non chasseur, et auteur, entre autres, de Seules les bêtes – en 2017) est d’être parvenu, singulièrement par sa maîtrise de la construction narrative, à mettre au point une histoire qui bouleverse de fond en comble le rapport proie/ prédateur, que ce soit au cœur des montagnes françaises ou du désert du Kaokoland, en Namibie, ou que ce soit entre ses principaux personnages. Les scènes de chasse sont d’une puissante intensité ; le suspense, à l’avenant. Loin, bien loin du roman ‘‘à thèse’’ que d’aucuns veulent y voir, Entre fauves dit beaucoup des représentations violemment contradictoires que nos contemporains entretiennent à l’égard de la sauvagerie, ici comme ailleurs ; mais il demeure, surtout, une œuvre absolument palpitante.

Le Livre de poche, 384 pages, 7,90 €.