Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sujet agite les milieux cynégétiques, agricoles et politiques depuis des décennies, avec une acuité particulière ces dernières années. Les chiffres des dégâts des grands animaux (sangliers, cervidés) font, en effet, frémir. Selon la FNC, la facture atteint, pour la saison 2019-2020, 77,3 millions d’euros (elle devrait être équivalente pour 2020-2021), alors qu’elle n’était respectivement que d’un peu plus de 10 et 20 millions en 1990 et 2000 (et quelques centaines de milliers d’euros lors de la création du fonds d’indemnisation, en 1970).

C’est l’évidence même que d’écrire que, depuis 30 ans, cette hausse exponentielle est liée à l’explosion des populations de cervidés (le nombre de cerfs tués a été multiplié par dix sur cette période, pour atteindre 40 000, et celui des chevreuils près de 550 000) et plus encore de sangliers (le nombre d’animaux tués est ainsi passé d’un peu plus de 200 000 à plus de
800 000). Or, le sanglier concentre 85 % du montant de la facture…

Il est sans doute utile de rappeler que cette hausse des bêtes noires est elle-même liée à un taux de reproduction ‘‘accéléré’’, lui-même lié à une augmentation des surfaces appétantes – comme le maïs (or, en raison d’une nourriture abondante, les femelles arrivent à maturité sexuelle plus tôt) –, aux hivers moins rigoureux (qui provoquent une moindre mortalité chez les jeunes), à une baisse du nombre des chasseurs, et, il faut bien l’avouer, à
une volonté de certains cynégètes de favoriser une population à des hauts niveaux (consignes de tir très strictes, agrainage excessif)… Ne le nions pas :
le sanglier est dans quelques lieux un pouvoir économique, à telle enseigne qu’en Sologne le prix des terres dépend directement du tableau annuel de
bêtes noires…

Cette dérive des dégâts pose de multiples questions. D’abord, celle de son financement, car jusqu’à présent ce sont les chasseurs qui, par le biais des fédérations départementales, payent la facture. Or, en dépit d’une incitation à tirer le plus d’animaux possible dans certains départements, la situation est intenable… D’où l’instauration dans des départements de taxes à l’hectare (pudiquement appelées ‘‘participation territoriale’’), taxes qui varient là où les dégâts sont les plus importants, et qui se rajoutent à tout le reste. D’où la volonté de faire payer à l’État (c’est-à-dire au contribuable)
tout ou partie des dégâts, ce qui reviendrait à 1,66 euro par habitant. Les discussions sont en cours mais l’affaire n’est pas simple car, du point de vue juridique, selon la FNC, il est anormal que les chasseurs payent seuls des dégâts sur lesquels ils n’ont souvent pas de prises (zones non chassées, choix des cultures…). Le Conseil d’État a été saisi, qui a lui-même saisi le Conseil Constitutionnel…

Il y a une urgence absolue, car le sanglier peut mettre en péril la chasse française d’un point de vue économique, d’un point de vue cynégétique (car la bête noire n’incite à aucun effort de gestion, et est destructrice pour celle du petit gibier), et politique : car, à force de ne chasser que cela, nous devenons à notre corps défendant des régulateurs de la faune sauvage (ce que veulent nos adversaires), avec une ‘‘mission de service public’’. Or, la régulation ne peut être que la conséquence de l’acte de chasse, mais en aucun cas sa raison première.