Comme l’a écrit Bruno de Cessole en 2005 (voir Jours de Chasse n°21), « cet Almanach d’un comté des sables est à la littérature américaine du XXe siècle ce que fut au XIXe siècle Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau, dont Leopold peut être considéré comme l’héritier spirituel ». Ouvrage majeur de l’auteur – publié pour la première fois en 1949, traduit en français en 1996 et réédité ici par Gallmeister –, ce livre est d’un homme à la fois naturaliste, écologiste, chasseur, pêcheur, universitaire, philosophe et écrivain. Né en 1887 à Burlington (Iowa), initié dès l’enfance au goût de la faune et de la flore, diplômé de Yale spécialisé dans la sylviculture mais aussi dans la gestion du gibier, Leopold eut la charge de plusieurs ‘‘réserves’’ dans ce Sud-Ouest des États-Unis alors encore caractérisé par la représentation d’une nature « inépuisable ». Or, ce fut notamment cette réduction délétère de « la terre » aux intérêts de l’homme et à l’économie qui l’incita à développer une réflexion sur la nécessité de vivre autrement notre rapport à la nature. En 1935, Leopold acquiert une ferme d’une cinquantaine d’hectares le long de la rivière Wisconsin, dans une région appelée le ‘‘comté des sables’’, laquelle, dit-il, ressemble « à un méandre oublié du grand Fleuve Progrès ».

La première partie de l’Almanach rend compte des nombreuses observations naturalistes et cynégétiques qu’il y fit, quand la deuxième, intitulée ‘‘Croquis ici et là’’, se présente comme un recueil d’expériences au cœur de la vie sauvage aussi sensible et poétique que critique à l’endroit de l’irrémédiable empreinte humaine. Mais c’est probablement la troisième et dernière partie qui a le plus contribué à faire de lui – de son vivant puis après sa mort (survenue en 1948) – un pionnier de la protection de l’environnement aux États-Unis. Car c’est là qu’il formule, en termes philosophiques, le contenu de sa pensée, pensée exigeante, visionnaire, ainsi résumée : « L’éthique de la terre [qu'il propose] repousse les limites de la communauté pour y inclure les sols, les eaux, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre ». Étant donné l’interprétation radicale et erronée qu’en font aujourd’hui certains prétendus ‘‘écologistes’’, sans doute convient-il de relire avec la plus grande attention les pages de celui qui décelait, dans le fait que nous seuls soyons capables de pleurer la disparition de telle espèce, « la preuve objective de notre supériorité sur les bêtes ».

Gallmeister, 288 pages, 23,50 €.