Encore un papier sur la bécasse, soupirent déjà quelques esprits chagrins, et ils auront tort. Car a-t-on vraiment tout dit sur cette migratrice, toujours aussi fascinante sur ses mœurs, sa chasse et sa gastronomie ? Déjà, sur ce dernier point, les yeux brillent, les papilles se réveillent, car l’affaire est de la plus haute importance. Il s’agit de savoir la préparer, la cuisiner, en respectant des siècles de tradition. Et il est impossible d’évoquer le sujet sans penser à Maupassant et à ses Contes de la bécasse. Avec ses passions charnelles, sans nul doute la chasse a été l’une de ses principales tentations !
Dans ses contes parus en 1883, il met en scène le vieux baron des Ravots, qui recevait chaque année ses amis cynégètes, et leur proposait de manger chacun une bécasse. Pour pimenter la soirée, il conservait les têtes, naturellement détachées d’un long faisandage. Il effectuait un tirage au sort, en faisant tournoyer une tête plantée sur une épingle, puis l’épingle sur un bouchon, adroitement installée sur une bouteille pour la faire tourner. À l’instar d’une boule de roulette de casino, le bec désignait un convive qui avait alors le suprême honneur de bénéficier de toutes les têtes enduites de suif, qu’il pouvait faire griller sur la chandelle : il croquait ainsi chacun des crânes grillés, en poussant des exclamations de plaisir ! En contrepartie de ce suprême honneur, il devait conter la meilleure histoire qu’il connaissait. Des histoires savoureuses, mais bien souvent cruelles…
Un soir, votre serviteur s’est cru obligé de goûter une tête ainsi préparée, et, divine surprise, il en tira le plus grand plaisir ; une tête bien plumée et rissolée, qui devint fondante et en même temps croustillante. Un délice à découvrir, si tant est que la passion de la littérature et le goût du risque ne vous effraient pas. Un mets que vous trouverez « esculent », comme aurait écrit Brillat-Savarin.
Recette : La bécasse rôtie à la ficelle
Disons-le tout net : il y a autant de recettes de bécasse que d’anecdotes mémorables sur sa chasse. S’il faut n’en retenir qu’une, au-delà de toutes celles qui conduisent à désosser l’animal, nous conseillons celle, ‘‘toute simple’’, de la bécasse rôtie, à la ficelle. La bécasse peut rester quelques jours au réfrigérateur : vous adaptez la durée à votre goût, non vidée. Ne la plumer qu’avant la cuisson.
Percer sous la mandibule inférieure de l’oiseau pour y passer la corde. Les enduire à l’huile de noix, à la graisse de foie gras ou même avec du suif comme pour les recettes anciennes. Les accrocher à 10 cm les unes des autres sur une tige placée devant une cheminée dont on aura pris soin d’éviter un feu trop ardent.
Il est essentiel de les arroser en permanence de la même graisse que choisie, sous contrôle continu du maître rôtisseur de la soirée, en les faisant tournoyer sur elles-mêmes. Vous pouvez ajouter une eau-de-vie, voire oser un whisky, un Lagavulin ou même un Ardbeg aux arômes de tourbe si caractéristiques.
Disposer un plat pour récupérer les jus de cuisson, avec des tranches de pain bis campagnard frottées à l’ail et sur lesquelles vous aurez déposé une tranche de foie gras de canard. Elles s’imbiberont naturellement. Après une vingtaine de minutes, faire une légère incision sous les entrailles peut faciliter leur écoulement sur le pain ; poursuivre la manœuvre encore 5 minutes. Avant de les servir, ouvrir et récupérer les entrailles qui auront mijoté, en retirer le gésier, les écraser à la fourchette et déposer le tout sur le pain imbibé du jus de cuisson.
Si la recette mythique vous paraît difficile à réaliser, plus traditionnellement, vous pouvez les cuire au four, après les avoir bardées, en glissant délicatement une rondelle de truffe dans les entrailles, comme le faisait Alexandre Dumas.
Mais, dans tous les cas, conservez les têtes que vous pouvez faire rissoler une dernière fois, juste avant de les déguster. Vous découvrirez ce met croustillant à souhait et comprendrez d’autant le récit de Guy de Maupassant.