Qu’il soit dorénavant nécessaire d’inscrire le rejet de la chasse dans un contexte beaucoup plus large d’oppositions structurelles diverses, c’est ce qu’il ressort d’un entretien accordé, le 9 avril dernier, par le président de la FNC au Figaro Magazine.
Dans cet entretien fécond à bien des égards – et mené par notre ami Cyril Hofstein –, Willy Schraen souligne notamment, à très juste titre, que « c’est l’ensemble de nos modes de vie qui sont chaque jour remis en cause par une minorité militante » ; qu’il y a là « un enjeu sociétal et économique dont le but avoué est de modifier nos vies et le sens même de nos existences » ; que, sur le plan de la sécurité – sujet souvent instrumentalisé par nos détracteurs –, « les chiffres récents témoignent d’une baisse drastique des accidents » liée aux mesures que s’imposent depuis longtemps les chasseurs ; que « la ruralité n’est pas un point géographique » mais bien « un état d’esprit », et qu’on ne doit pas, par conséquent, porter un regard trop binaire sur la relation ville/campagne, conception de plus en plus dépassée ; et qu’enfin la notion d’écologie est aujourd’hui confisquée par des individus « qui s’estiment porteurs d’une vérité écologique, selon des critères qu’ils ont eux-mêmes définis », et qui ont pour dénominateur commun de vouloir exclure l’homme de la nature et de sa « gestion globale ».
Or, si nous souscrivons totalement à ces analyses, trois passages précis de l’entretien ne laissent pas, selon nous, d’appeler quelques observations.
Tout d’abord, cette phrase, partiellement mise en exergue de l’article : « L’humanisation de l’animal, et maintenant du végétal, accompagnée par une urbanisation grandissante et une rupture profonde avec le monde naturel, a provoqué un bouleversement ontologique majeur. » Pourquoi donc « ontologique » ? L’ontologie, ou ‘‘science de l’être’’, qui traverse toute l’histoire de la philosophie occidentale, fait ici manifestement l’objet d’un usage pour le moins… inapproprié. Il y a certainement un « bouleversement » « majeur » qui s’opère, mais dans la représentation de la relation homme/animal ou homme/nature, et, somme toute, pour une infime partie de l’humanité ; quant à l’être… Mais il ne s’agit là que d’une simple remarque relative au choix du vocabulaire. A vouloir ‘‘élever’’ à toute force le débat, on risque le discrédit.
Ensuite, ce passage, où Willy Schraen évoque le « déni » de nombre de nos contemporains face à la mort : « Il est évident que la chasse renvoie de façon claire et sans détour à la notion de vie et de mort. Et dans une société qui refuse d’accepter la mort et rejette violemment tous ceux qui lui rappellent cette évidence inéluctable, le chasseur n’a évidemment pas sa place. Pourtant, la mort donnée à la chasse est celle qui perpétue la vie à travers la consommation de la proie […]. » Voilà un argument dont nous autres chasseurs usons abondamment, et avec raison : l’idée de la mort nous est de plus en plus insupportable, notamment parce qu’elle nous est de moins en moins familière. Cependant, et c’est sensiblement différent, le discours antichasse est bien davantage porté, d’une part, par le refus d’une mort infligée gratuitement, et, d’autre part, par le refus d’une souffrance également infligée gratuitement – que par la mort elle-même. A l’exception de quelques rares illuminés qui s’imaginent que vie et mort sont séparables, ceux qui militent activement contre la chasse le font au nom de la souffrance que les animaux subissent, selon eux, à cause des cynégètes. Pourquoi parlent-ils tant de la sensibilité de nos amies les bêtes ? Non parce qu’ils nient leur condition mortelle, mais parce qu’ils s’opposent à ce que l’homme puisse seulement les blesser, sans ‘‘nécessité’’ de surcroît. Le principal levier psychologique des animalismes pour recruter des sympathisants est donc moins de jouer sur le ‘‘tabou’’ qui entoure chez nous la mort, que d’user du spectacle de la souffrance qui, par l’émotion et l’empathie qu’il suscite immédiatement, leur permet de rallier l’opinion.
La dernière remarque porte sur cet extrait : « Diabolisées en Europe, ces mêmes chasses [vénerie, chasses traditionnelles] pratiquées par des autochtones en Amérique, au coeur de la forêt amazonienne, en Afrique, en Asie ou sur la banquise forcent l’admiration des écolo-animalistes. C’est totalement contradictoire et, d’une certaine manière, osons le mot, raciste. » Fallait-il, justement, « oser » ce mot ? Dans un monde où le terme de racisme est convoqué systématiquement pour clore toute forme de débat, comme un pseudo-argument d’autorité, on peut se demander s’il n’y a pas ici une certaine indécence ou facilité à le prononcer si légèrement. Autre question, peut-être plus grave encore : est-ce une bonne stratégie, pour les chasseurs, que de céder aux sirènes de la victimisation ? Ne faut-il pas, au contraire, éviter de participer au dévoiement de cette notion – le racisme –, notion trivialisée presque chaque jour par une multitude d’instrumentalisations éhontées ? Toute haine n’est pas nécessairement l’expression d’un racisme, et le désir de défendre ses valeurs, si ardent soit-il, n’autorise pas à tout confondre. Encore une affaire de vocabulaire, sans doute. Mais les mots ont, semble-t-il, encore un sens.