L’affaire est entendue, le mouvement inexorable : le monde des campagnes, celui de Poussin et de Le Nain, de Foudras et de Vincenot, s’est éloigné, un monde où la chasse était un prolongement naturel de l’existence. Cette France qui n’avait, finalement, guère bougé depuis le Moyen Âge, Emmanuel de Waresquiel nous la livre dans un très joli ouvrage, « écrit à la billebaude, par petites touches ». L’historien, biographe, entres autres, de Talleyrand et de Fouché, essayiste brillant, nous emmène dans son enfance, dans le château familial, en plein pays chouan, dans un « récit de campagne et de cours de récréation, de visages aimés, de soleil et de pluie, folâtre et paresseux ». Enfant unique, il observe ce monde « où rien ne changeait jamais, que les saisons ». Avec un père militaire, une mère empreinte d’anglicisme (« pas l’Angleterre des villes, mais du brouillard et de la pénombre, du cliquetis des mors et du récri des chiens »), qui vouvoyait ses chiens, Waresquiel découvre cette vie campagnarde, cette vie de château, avec nostalgie (« J’avais les pieds dans le XIXe siècle et ne le savais pas »). Cette immobilité du temps provoquera sa vocation d’historien. C’était une autre époque, souligne-t-il en substance, où les choses paraissaient immuables, à leur place, où l’élégance, la politesse signifiaient quelque chose, sans manquer d’en brocarder le côté proustien. Il échappe au temps, dans la campagne, particulièrement à l’automne. Il garde de son enfance « des envies de fuite et d’évasion, le goût des échappées belles dans le grand large des bois ». Il découvre la chasse ; c’est là qu’il commence « à aimer les chiens et les bois, les odeurs de mousse et de pluie lorsque le jour descend et que l’obscurité plonge les haies et les champs dans un fouillis d’ombres bienfaisantes ». Cet appel du large est pour lui une manière d’échapper à l’école, qu’il déteste, lui le futur normalien. Un livre à savourer, à méditer. Péguy a décidément raison : « Tout est joué avant que nous ayons douze ans ».
Tallandier, 184 pages, 18 €.
