S’agit-il de récits, de fragments, d’un hommage adressé à une région aimée, d’une manière de journal, ou de pages choisies ? Sans doute Vies de forêt est-il un peu tout cela à la fois – et bien davantage. Dans ce très joli livre, en effet, le quatrième, Karine Miermont – « Longtemps productrice puis directrice artistique pour la télévision, elle a aussi écrit et réalisé des documentaires », précise, trop laconiquement, hélas, l’éditeur – nous convie dans les Hautes-Vosges, pays de moyenne montagne qu’elle arpente depuis une trentaine d’années et dont elle observe avec patience, avec curiosité, avec émerveillement plutôt, toutes les formes de manifestations : animaux, éléments, glissements des saisons mais aussi flore, souvenirs de ceux qui furent et firent ici, contemporains chasseurs, gardes-chasse ou naturalistes, paysans. Elle n’est pas cynégète elle-même (son compagnon l’est), mais on sent à sa façon d’affûter – les cerfs, par exemple –, à sa façon d’« approcher ce qui nous fuit » ou de décrypter telle voie ou tel indice de présence en forêt… que le déduit lui est fort familier. Outre le travail stylistique qu’elle accomplit, outre son goût évident de l’esthétique et de la culture, nous frappe d’emblée, chez elle, une authentique disposition à la contemplation – cette faculté si précieuse, si humaine de laisser venir à soi tout ce qui fait la vie en permanence renouvelée d’un lieu, lorsqu’on ne cherche pas à soumettre « le temps qu’il fait, le temps qui passe, le temps qui dure et qui s’efface, qui nous gouverne comme l’espace ». De ces Vosges qui furent océan il y a quelque 450 millions d’années, il demeure aujourd’hui le limon de spectacles sauvages inestimables – brame, chants d’oiseaux, visions impromptues de renards, de chevreuils, de sangliers, caprices du ciel, métamorphoses végétales… –, un limon venu se déposer, tout empreint de sédiments poétiques, sous la plume de Karine Miermont, dans cet ouvrage qui enseigne en creux l’art de se laisser surprendre et ravir par les beautés naturelles, identiques et changeantes, toujours, en un même souffle.
L’Atelier contemporain, 176 pages, 20 €.