Certains écologistes ont un goût si prononcé pour l’ineptie qu’il y a fort à parier que, dans un avenir proche, nos humoristes et autres caricaturistes ne pourront même plus s’en inspirer. Comment, au vrai, les seconds pourraient-ils encore moquer les premiers, quand ceux-ci mettent un soin tellement maniaque à se ridiculiser, avec une régularité qui force presque l’admiration ? En viendraient-ils à être plus nombreux – ce qu’on ne peut envisager qu’avec terreur ! –, qu’ils parviendraient à réduire au silence les esprits les plus brillamment caustiques, et ce – miracle des miracles – par la seule vertu de leur faculté de déraisonner.
A moins de s’être retiré du monde depuis fort, fort longtemps, personne n’ignore que notre Johnny national – disparu en décembre 2017 – était, rock’n’roll attitude oblige, un passionné de Harley Davidson. Rien d’illogique ou de condamnable, donc, à ce que l’on rende hommage à la star en érigeant une sculpture qui représenterait ce mythique deux roues… L’œuvre en question ? Signée Bertrand Lavier, elle est composée d’un mât de six mètres, lui-même surmonté d’une Harley inclinée – et son installation, sur l'esplanade de l'AccorArena, dans le XIIe arrondissement de Paris, sera bel et bien inaugurée le 14 septembre prochain, en présence de Laeticia Hallyday, n’en déplaise aux plus furieux contempteurs du moteur thermique.
‘‘Bel et bien’’, oui, car cela ne s’est pas fait sans mal : en effet, du haut de son perchoir, Anne Hidalgo a dû, le 7 juillet, se fendre de quelques explications pour répondre à l’hostilité des élus écologistes présents dans l’hémicycle du Conseil de Paris, lesquels voyaient d’un très mauvais œil l’apparition de ladite sculpture, promotion, selon eux, d’un engin polluant et bruyant. « Oui, c'est une moto, mais elle ne pollue pas, c'est une œuvre d'art […], a-t-elle lancé aux 23 élus qui s’apprêtaient à voter contre, comme le rapporte Le Figaro. C'est un objet qui symbolise cet artiste. » Et de préciser : « Je vous invite vraiment à élever le débat, à ne pas nous caricaturer nous-mêmes… » Louable mise au point, Mme Hidalgo, et belle pédagogie à l’adresse de vos verdoyants amis qui, si on leur donnait carte blanche, imposeraient certainement de flouter les motos de Dennis Hopper et Peter Fonda dans Easy Rider, celle de Schwarzenegger dans Terminator, et, pourquoi pas, celles que l’on voit lors d’une course-poursuite mémorable dans La Grande vadrouille ! Quant à vouloir éviter que ces élus ne finissent par se « caricaturer [eux-mêmes] », c’est visiblement trop tard…
En tout état de cause, cette nouvelle ‘‘polémique’’ montre, une fois de plus, à quel degré de raideur idéologique et de mépris pour la culture populaire ces prétendus écologistes, qui se veulent démocrates, ont atteint : raides, ils le sont jusqu’à n’être pas capables d’imaginer que la représentation artistique d’une moto n’est pas une moto ; méprisants, ils le sont à l’égard de ceux qui – et c’est leur droit – ont envie de voir dans cette Harley Davidson sculptée un symbole attaché à un chanteur, à un homme qu’ils ont aimé. Outre le fait que l’intransigeance de ces Javert verts soit assurément risible, il convient plus que jamais de ne pas négliger le danger qu’ils incarnent : interdire, rééduquer de force et tordre les consciences récalcitrantes sont leurs maîtres-mots. Mme le maire de Paris – qui ne raffole pas elle-même des moteurs thermiques, on le sait ! – aura beau leur faire la leçon, ils continueront à déconstruire, c’est-à-dire à détruire tout ce qui résiste à leur ‘‘idéal’’. Libre à eux de regretter que l’interprète de Requiem pour un fou ou de Ma Gueule n’ait point été un adepte du Vélib’ ou du bâton nordique, mais au nom de quoi devrions-nous tous supporter leur passion de la rature, leur amour fou de la biffure historique ? Car enfin, si Johnny avait été chasseur, à quelle extase de la censure ne se seraient-ils pas livrés ! A elle seule, cette pensée fait vraiment frémir…