L’époque où le véganisme faisait doucement rire est révolue. Après les accès de sensiblerie, les constructions intellectuelles fumeuses, les manifestations, les attaques de boucheries et autres poissonneries – voici que ce délire d’intransigeance morale emprunte des formes inédites, infiniment plus inquiétantes.

Dans Steak barbare, le journaliste et essayiste Gilles Luneau nous livre, en effet, le résultat d’une vaste enquête qu’il a menée sur le sujet – et là, le sourire n’est plus de mise. Son objet ?

L’agriculture dite « cellulaire », la « viande propre », la nourriture in vitro qui, dès à présent, sont envisagées comme une réponse définitive aux cinq enjeux fondamentaux touchant notre futur : « le changement climatique, la perte de biodiversité, la capacité à nourrir 9 milliards d’individus en 2050, le bien-être animal et la santé. »

Pour ce faire, l’auteur a exploré le maillage interdisciplinaire extrêmement complexe de ceux – scientifiques, juristes, ‘‘startupeurs’’, lobbyistes, financiers, etc. – qui œuvrent, notamment aux États-Unis, à la mise au point de ces ‘‘produits’’ (viandes, œufs, laitages, poissons, fruits de mer, etc., conçus en laboratoire et, bientôt peut-être, par imprimante 3D !), ainsi qu’à leur introduction sur le marché mondial dans le but, revendiqué, de réduire à néant toute forme d’élevage et d’« exploitation animale », en assurant ‘‘durablement’’ l’avenir de la planète.

Un projet qui paraît relever de la science-fiction, mais qui fait se rencontrer dans une curieuse convergence d’intérêts les tenants du véganisme et de l’antispécisme, les géants de l’agroalimentaire, de richissimes investisseurs, les militants d’une écologie extrémiste, et, même, des chercheurs transhumanistes (qui travaillent à ‘‘augmenter’’ l’humain jusqu’à lui épargner définitivement la mort).

Cette collusion est d’autant plus effrayante qu’elle est financée, à grand renfort de milliers de milliards de dollars, par le canal de dons recueillis au sein de fondations dédiées, lesquelles ‘‘flèchent’’ ces sommes vers les entreprises et les startups – implantées, pour beaucoup, dans la Silicon Valley – qui créent l’industrie du futur censée pallier, entre autres, la fin programmée – et nécessaire – de la production industrielle de viande.

A travers cette utilisation sans garde-fous de la technique, c’est toute la relation culturelle, historique et philosophique de l’homme à la nature et aux animaux qui se trouve en péril : Gilles Luneau, promoteur de l’agriculture et de l’élevage traditionnels, l’analyse avec force justesse et précision. Au reste, en fournissant une espèce de ‘‘caution morale’’ aux plus abjects projets de dénaturation du vivant, les véganes montrent, s’il en était besoin, qu’ils sont les ‘‘idiots utiles’’ des pires apprentis sorciers de la planète, mais également ceux du libéralisme le plus débridé. Glaçant, douloureux, ce livre est absolument nécessaire.

L’Aube/Fondation Jean Jaurès, 368 pages, 23 €.