C'est toujours un sujet délicat que d’estimer les populations de loups en France tant le dossier est passionnel, au-delà de toute raison et de toute réalité scientifique. En effet, ce n’est pas parce qu’un loup a été vu en Bretagne, en Normandie, dans le Poitou, que la France est envahie par l’animal aux yeux de braise. Émotion et impression font rarement bon ménage avec analyse scientifique. Jusqu’à présent, les seuls chiffres fiables dont nous disposons sont ceux établis, une fois par an, par un organisme d’État, l’OFB, comptages réalisés – rappelons-le – par des équipes d’ingénieurs, à partir d’enquêtes, de relevés d’indices sur le terrain et d’analyses génétiques. Les derniers chiffres, rendus publics mi-juin, font état d’une estimation d’une population entre 816 et 1016 loups sur le territoire français à la sortie de l’hiver, soit une moyenne de 916, en progression de 17 % (pour être exact, ce chiffre s’établissait à 620 un an plus tôt, chiffre qui a été rectifié à 783). Quoi qu’il en soit, on doit rester extrêmement prudent dans l’analyse des données. En effet, jusqu’à preuve du contraire, le loup n’a et n’aura jamais le taux de reproduction d’un lapin ou d’un sanglier. Il reste un animal sauvage qui obéit aux lois de son espèce, entre son taux de reproduction, et sa hiérarchie sociale particulière, pyramidale (au sein d’une meute, seul le couple dit Alpha a le ‘‘droit’’ de se reproduire, et pas les loups dits ‘‘subalternes’’).
Au vrai, si l’on part du postulat d’environ 135 meutes – chiffre sortie d’hiver –, il y aurait donc au minimum 270 animaux. En tenant compte d’une moyenne de 7 loups par meute (le nombre peut aller de 6 à 8), ce chiffre est
porté à 675 animaux. Avec une hypothèse de 5 louveteaux par meute (sachant que toutes les meutes ne se reproduisent pas), on atteindrait 675 nouveaux loups rien que pour cette année, soit un total de 1350 animaux.
Dans les faits, d’après les services de l’OFB, l’augmentation n’est pas de 570 mais de ‘‘seulement’’ 133, chiffre qui tient compte de la mortalité chez les jeunes (50 % jusqu’à un an), chez les adultes (10 %) ; chiffre dans lequel est
aussi comprise la mortalité à la suite des tirs autorisés (110 pour l’année 2021) ; rappelons que, sur ce dernier point, dans le cadre du Plan Loup, l’État a donné le droit de tuer 19 % de la population estimée (soit 174 pour cette année).
Il faut également prendre en compte les sujets qui quittent la meute, et que l’on retrouve ici et là dans nombre de départements. Combien sont-ils ? Difficile de le dire : sans doute entre 100 et 200, mais là aussi le taux de mortalité frise les 50 %, soit 70-75 sujets (on sait, en effet, que les chances de survie d’un animal erratique sont faibles ; sans compter l’impact du braconnage et de l’emploi du poison dont il est très difficile de mesurer l’ampleur… ).
Que deviennent-ils ? Soit ils meurent (accidents ferroviaires, routiers, maladies…), soit ils survivent avec un grand champ d’action dans une même région (c’est apparemment le cas du loup aperçu dans l’Orne et l’Eure), soit ils retournent peut-être d’où ils viennent. Bref, au total, la progression des populations de loups est au maximum de 17 %, soit un peu plus de 900 sujets. Une progression somme toute assez faible : il faut y voir là l’effet des tirs d’élimination.
Quant aux attaques, il semblerait qu’elles enregistrent une stagnation puisqu’elles étaient de 3557 en 2021, contre 3670 en 2020 et 3651 en 2019. Le nombre des victimes (principalement des ovins) suit la même courbe, passant de 12 094 en 2019 à 10 826 en 2021. Comment expliquer cette tendance ? Les esprits chagrins y voient déjà la volonté des pouvoirs publics de ‘‘minimiser’’ certaines attaques (c’est-à-dire en n’attribuant pas certaines attaques, en cas de doute, à un ou des loups). Rien ne permet de l’affirmer. Faut-il y voir ‘‘l’effet tir’’ ? Certains dénoncent des tirs non sélectifs, risquant de provoquer un éclatement de la meute, avec, à la clé, la constitution de nouvelles meutes. Des loups subalternes accèdent à la reproduction, avec des meutes supplémentaires.
Quoi qu’il en soit, on peut regretter que la mise en place de certains outils scientifiques ait été, pour l’instant, refusée (comme de mettre en place des balises sur des loups afin de suivre leurs déplacements), pour permettre une meilleure connaissance de l’espèce, donc de sa gestion. Plus encore, on peut regretter une approche toujours aussi passionnelle du sujet et non pragmatique. Il faut espérer qu’à terme le loup redevienne une espèce-gibier avec un plan de chasse et qu’il ne soit plus réduit à une ‘‘espèce- régulation’’.