Les malles d’archives et les greniers des vieilles maisons recèlent encore des trésors cachés. Ainsi des mémoires inédits et des livres de chasse illustrés tenus de 1897 à 1932 par une femme d’exception, Henriette d’Ideville, maître d’équipage du rallye Navarre, seule femme, avec la duchesse d’Uzès, à avoir été responsable d’un équipage de grande vénerie durant l’entre-deux guerres. Née en 1877, Henriette Renard était la petite-fille d’un riche industriel, Alexis Godillot, inventeur des fameuses chaussures qui équipèrent l’armée française. Ses parents avaient acquis du duc d’Aumale un domaine en bordure de la forêt de Chantilly, si bien que la jeune fille suivit, dès l’adolescence, les laisser-courre du duc d’Aumale et du duc de Chartres. Après son mariage avec le comte d’Ideville, officier de cavalerie, elle s’installe en Normandie et se consacre avec passion à la vénerie. Bouton de l’équipage du marquis de Chambray, surnommé le Grand Chef, sans doute le plus prestigieux équipage de cerf de l’époque, elle suivra plus de deux mille chasses avec une soixantaine d’équipages différents, tant dans la voie du cerf que du sanglier et du chevreuil. À la mort du marquis de Chambray, c’est Roger Laurent, son bras droit, qui hérite de l’équipage, et Henriette d’Ideville en sera bouton jusqu’en 1927, jusqu’au décès du maître d’équipage. Ayant racheté une partie des chiens Chambray, descendants des légendaires chiens blancs du Roi, qui avaient pris 2456 cerfs avec le Grand Chef, elle monte son propre équipage, le rallye Navarre. En 1932, ces chiens prennent leur 3000e cerf ! Peu après, Henriette d’Ideville, n’ayant plus les moyens de sa passion, met fin à sa carrière de veneur : « J’aurais pu, ayant mis bas, chasser avec d’autres équipages, mais je savais que la tradition, cette tradition que j’avais appris à aimer et que tout au long de ma vie de vénerie j’avais fidèlement respectée, était perdue. C’est pourquoi je suis partie sans idée de retour ». Ne chassant plus dorénavant que dans la forêt du souvenir, elle se retire en Provence et rédige ses souvenirs, que ses héritiers ont eu la chance de conserver et de faire éditer aux éditions Montbel. Témoignage passionnant d’un âge d’or de la vénerie, ce texte, empreint de nostalgie et de poésie, et illustré par la reproduction des livres de chasse de l’auteur, est aussi riche d’enseignements pour le veneur d’aujourd’hui.