Voilà un ouvrage aussi passionnant qu’agaçant, pour ne pas dire horripilant. Que l’auteur soit – cela ne fait aucun doute – une féministe convaincue (n’est-ce pas elle qui a inventé le concept de « paternalisme lubrique » ?), dans ses acceptions les plus outrancières, c’est son choix, son libre-arbitre. Mais qu’elle en vienne à projeter son militantisme dans la vie de Rosa Bonheur, immense artiste animalière s’il en est, tombée, hélas, dans l’indifférence, et dont on célèbre cette année le 200e anniversaire de la naissance, en agacera plus d’un. Natacha Henry ne nous épargne pas, en effet, les « auteure » et autres « professeure », et de ramener trop souvent l’extraordinaire destin de Rosa Bonheur à la libération de la femme, et à son homosexualité. Certes, il n’est pas question dans ces quelques lignes de nier ces aspects, mais ce qui frappe en refermant l’ouvrage, c’est la force de caractère de Rosa Bonheur. Pour nous la livrer, l’auteur, et c’est en cela que l’ouvrage est réellement intéressant, a choisi la forme romancée, avec force dialogues. L’ensemble est réussi, même si l’on peut regretter de nombreuses impasses. Pas à pas, presque jour après jour, nous suivons Rosalie, que tout le monde appellera Rosa : sa réticence, sa répulsion envers l'enseignement que l’on réservait aux jeunes filles, son amitié indestructible avec Nathalie, sa volonté d’indépendance, sa passion naissante pour les Beaux-arts et les animaux, le soutien sans faille de son père, artiste lui-même, dans son désir de devenir peintre… On la suit dans les dédales du Louvre, on admire son travail de copiste, on côtoie Corot, sa volonté envers et contre tout d’immortaliser les animaux, de les comprendre, de les saisir par tous les angles (en les manipulant !), ses visites au Muséum d’Histoire naturelle, ses visites aux abattoirs, ses premiers salons (« événement majeur de la vie artistique parisienne »), sa rencontre avec le professeur Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, son voyage en Auvergne, jusqu’au succès total, au-delà de l’Atlantique, avec son célèbre Marché aux chevaux (qui se trouve toujours au Metropolitan Museum de New York)… Avec cet ouvrage, Rosa Bonheur sera un peu moins une « inconnue célèbre ». L’essentiel est là : Natacha Henry a fait revivre, en moins de 300 pages, notre Rosa. Pour la résumer, laissons le mot de la fin à Théophile Gautier : « Quelle vérité et quelle observation parfaite ».
Albin Michel, 299 pages, 14 €.