Les présidentielles et la chasse : c’est un rituel bien orchestré pour accéder aux marches de l’Élysées que de voir les candidats faire des déclarations d’amoureux transis au monde cynégétique, en particulier lors du congrès de la FNC qui avait lieu, cette année, les 21 et 22 mars. Difficile pour lesdits candidats, en effet, d’ignorer ce réservoir estimé à au moins 2 millions de voix (sur 46 millions d’inscrits sur les listes électorales), car il va bien au-delà des seuls détenteurs du permis de chasser validé. Aussi, plutôt que d’égrener les incantations souvent similaires et superficielles des uns et des autres, nous préférons quant à nous nous attarder sur les enjeux que la chasse représente à l’occasion du scrutin majeur de la Ve République, et sur les questions fondamentales au sujet desquelles chaque prétendant devrait être tenu de se prononcer (nous mettons à part Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, qui n’ont jamais fait mystère de leur opposition farouche à la chasse – le premier ayant par exemple reçu et accepté le soutien de l’antispéciste Aymeric Caron).

C’est un euphémisme de rappeler que la chasse est attaquée non sur sa légalité mais sur sa légitimité. Au vrai, ce mouvement se fait de plus en plus puissant et brutal à chaque élection présidentielle, scrutin qui mobilise le plus important taux de participation (même si le vainqueur est élu avec un nombre de plus en plus faible du corps électoral : 43 % des inscrits pour Macron en 2017 ; 60 % pour Chirac en 2002) : en particulier sous nos latitudes, la chasse se trouve, à son corps défendant, au carrefour de multiples questions inscrites dans l’esprit contemporain, qu’il s’agisse du ‘‘bienêtre animal’’, de la sauvegarde de la biodiversité, du droit de propriété, de notre relation à la souffrance, à la mort… Mieux – ou pire –, elle est assurément prise dans cette vaste lame de fond qu’est la déconstruction, laquelle vise à détricoter abstraitement puis à détruire réellement tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à un mode de vie ancestral, patiemment élaboré au fil des siècles, voire des millénaires. Pour beaucoup, répétons-le, la notion de tradition appliquée à la chasse n’est plus seulement suspecte ; elle est rédhibitoire. De la même façon, répétons-le aussi, l’utilité de la cynégétique ne constitue pas un argument décisif en faveur de sa légitimité, mais seulement de sa légalité : tous les discours antichasse ont parfaitement intégré cet élément du débat, et il revient à ce titre aux chasseurs eux-mêmes de corriger leur propre ligne de défense. En soi, une passion telle que la chasse n’est jamais d’abord utile – pour la simple raison que ce qui est utile aujourd’hui peut tout à fait ne l’être plus demain.

En tout état de cause, le temps n’est plus aux déclarations d’intention, si honnêtes, si sincères soient-elles, de la part des candidats en lice. Ils doivent répondre sans tarder, avec clarté et de manière concrète aux questions précises qui se posent dorénavant sur l’essence même de la chasse et son existence à long terme, parmi lesquelles :

  • Que comptez-vous faire face aux militants qui, en réclamant la reconnaissance par la loi de la sensibilité de tout animal – domestique ou sauvage –, préparent en conséquence les fondements juridiques et philosophiques d’une interdiction totale de la chasse dite ‘‘de loisir’’, celle-ci se réduisant, dès lors, à un acte de cruauté gratuite pur et simple ?
  • Qu’avez-vous à opposer au dangereux principe de réensauvagement qui est actuellement présenté par maintes associations écologistes comme la voie à suivre en matière de préservation de la biodiversité, alors que, d’une part, il contribue à nourrir le fantasme d’une nature mise sous cloche – c’est-à-dire vide d’hommes – et que, d’autre part, il risque fort d’avoir pour effet d’accentuer la menace qui pèse sur certaines espèces au bénéfice d’autres, qui ne seront plus, par définition, contrôlées ?
  • Seriez-vous prêt à la plus grande fermeté pour défendre le droit de propriété – dont le droit de chasse dépend – contre l’idée qui fait aujourd’hui florès selon laquelle la nature appartiendrait à tout le monde, et que chacun devrait légitimement pouvoir en jouir ?
  • En quelle mesure consentiriez-vous à affirmer qu’il n’est pas de chasse sans écologie, que les chasseurs sont partie prenante de la sauvegarde des espaces naturels, et que, s’ils ne sont certes pas les seuls à se soucier de ces derniers, il ne serait ni juste ni raisonnable de vouloir les exclure des politiques environnementales au simple motif que leur passion induit de tuer des animaux ?
  • La régulation de certaines espèces n’étant qu’un effet de la chasse et certainement pas sa cause première, par quels moyens pensez-vous pouvoir défendre, réhabiliter et protéger les multiples modes de vie et traditions qui lui sont attachés au cœur des territoires, et qui sont autant d’identités concrètes menacées de disparaître sous les coups d’une éthique sans racines, abstraite, et totalement verticale ?
  • Le piégeage étant une nécessité écologique et sanitaire – c’est d’ailleurs sa seule justification –, que comptez-vous faire pour soutenir
    sa pratique, alors que tant d’associations multiplient les recours juridiques pour déclasser des espèces néfastes par leur surnombre à d’autres – parfois protégées ?
  • Comment procèderiez-vous pour rendre possible et audible, auprès des jeunes qui n’en sont pas familiers, un discours public clair et honnête sur la culture cynégétique ?
  • Quelles mesures estimez-vous indispensables pour parfaire la sécurisation de la chasse ?
  • Quelles sont vos intentions quant à la représentation de la chasse au sein de l’appareil d’État ?
  • Enfin, puisque la question touche – à bien des égards comme la chasse – l’évolution de notre rapport multimillénaire à l’animal et à la nature, comment appréhendez-vous la très probable survenue à moyen terme, dans notre pays, d’une nourriture intégralement fabriquée en laboratoire et donc artificielle à l’avenant (viande, poisson, oeuf…), censée répondre aux défis alimentaires que poserait déjà la surpopulation humaine sur Terre ?