Ne nous voilons pas la face : les années qui viennent de s’écouler, aboutissement d’un processus exponentiel de remises en cause initié il y a trois ou quatre décennies, ont été pour notre passion le théâtre de notables déconvenues. Peut-être notre tort, en l’occurrence, a-t-il été de n’avoir pas pris assez la mesure du fait suivant : au sein du grand chambardement des valeurs que nous vivons actuellement – tant sur le plan psychologique, moral et politique que civilisationnel –, la chasse n’est guère plus, il nous coûte de le dire, qu’un épiphénomène. Nous, nemrods, croyons ou voulons croire qu’il n’en est rien – cette part de notre identité relevant davantage à
nos propres yeux de la ‘‘réponse’’ que du ‘‘problème’’ eu égard, notamment, aux enjeux écologiques dont nous sommes copieusement entretenus au quotidien. Et cependant, doublant notre peine, il semble bien que nous appartenions aujourd’hui, dans une plus large perspective, à ce que Mathieu Bock-Côté nomme joliment « le bois mort de l’humanité ». Ce qui ne signifie pas qu’il faille baisser les bras, tout au contraire.

Prises dans les rets d’une lame de fond dépassant donc de très loin l’ancienne opposition pro-antichasse, les instances cynégétiques, dont nous sommes par voie de nécessaire conséquence solidaires, ont navigué – et continuent de naviguer – au gré du vent et, surtout, sans visibilité parmi l’épais brouillard des récentes évolutions sociologiques et idéologiques. Face aux bouleversements profonds qui affectent les représentations contemporaines jusqu’à produire de violents antagonismes (rapport à l’animal, à la nature ; ruralité, urbanité et néoruralité ; destitution de la notion de tradition, etc.), lesdites instances ont beaucoup, beaucoup communiqué, expliqué ; elles ont judiciarisé à l’avenant ; elles ont, quoi qu’il pût en coûter, largement misé sur un lobbying dépourvu du moindre complexe ; et elles ont essayé, intention louable, de faire revivre la fierté d’être tout simplement chasseur, au XXIe siècle, sur notre sol.

En outre, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, les élections présidentielles ont eu lieu, et un nouveau gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre Élisabeth Borne, a été nommé. À l’aune de ce dispositif – dont l’issue des législatives pourrait certes modifier la teneur –, qu’adviendra-t-il de la chasse au cours des cinq prochaines années ? Il est évidemment trop tôt pour le dire – d’autant que bien d’autres sujets retiendront sans nul doute l’attention des Français et de leurs représentants politiques, que ceux-ci aient ou non quelque sympathie pour la chasse.

Cela étant, certains ‘‘dossiers’’ problématiques demeurent en suspens, parmi lesquels : le financement des dégâts de grands animaux, qui ne doit pas rimer avec perte de prérogatives ; les accidents, lesquels, bien qu’en forte baisse depuis vingt ans, représentent toujours un levier médiatique puissant au service des anti ; la gestion adaptative des espèces, principe pragmatique et de bon sens, mais dont la mise en place risque de rencontrer des résistances, dans nos rangs comme hors d’eux ; la multiplication peut-être excessive des systèmes de contrôle des armes de chasse, sous la pression d’une opinion publique mal informée, sinon manipulée ; la chasse de nuit, sur laquelle lorgnent depuis longtemps nos détracteurs ; la chasse à courre – singulièrement celle du cerf en zones périurbaines – et la vénerie sous terre ; le piégeage, cible d’attaques continues perpétrées dans une relative indifférence, alors que son rôle dans la sauvegarde de la biodiversité est capital et qu’en 2023 la liste des Esod sera révisée ; la culture du petit gibier, trop négligée institutionnellement au profit de celle du grand ; la chasse des oies en février ; les chasses dites
traditionnelles, invariablement suspendues au bon vouloir du gouvernement des juges, et symbole palpable d’une certaine dépossession
du pouvoir politique national ; le vieillissement des chasseurs et la baisse de leur nombre ; la cohabitation avec les autres ‘‘usagers de la nature’’, associée à un devoir de respect inconditionnel du droit de propriété ; la création d’une ‘‘filière venaison’’ structurée et de grande ampleur face, notamment, au développement de produits carnés conçus en laboratoire ou
de ‘‘substituts’’ végétaux (« L’exploitation de la venaison sera un axe important de mon prochain mandat », nous a récemment confié Willy Schraen), etc.

Néanmoins, au-delà de ces multiples sujets centraux pour le présent et l’avenir immédiat de la cynégétique, sans doute revient-il plus que jamais aux instances de la chasse de réaffirmer avec force, particulièrement à l’adresse des dirigeants politiques, que nous chassons pour chasser, que c’est là une part essentielle et non secondaire de notre culture, c’est-à-dire de notre identité, et qu’au XXIe siècle le principe de régulation des espèces, l’entretien des écosystèmes, la veille sanitaire et même la fourniture de viande par l’acte de chasse ne sont plus des arguments suffisants pour préserver la légitimité même de notre passion – ce que le président de la FNC, candidat, ce mois-ci, à sa propre réélection, a en partie déclaré en novembre dernier sur RMC, à juste titre, mais un peu tardivement, et en
usant d’une formule qui a malheureusement altéré, selon nous, la pertinence de son message. En tout état de cause, alors que les mentalités subissent une mutation que d’aucuns qualifient sans ambages de « civilisationnelle » – une mutation dont trop souvent l’UE elle-même se fait le transfuge –, il nous faut garder à l’esprit que c’est toujours à l’aune de la préservation de notre identité de chasseurs que nous devrons, dorénavant, répondre aux défis concrets qui se posent ou se poseront, en nous appuyant, précision importante, sur des voix extérieures à la chasse et qui ne demandent qu’à la comprendre. Elles sont plus nombreuses que nous ne le pensons.