Cela n’est pas nouveau : à l’approche des élections, a fortiori présidentielles, chaque candidat est sommé de se prononcer sur tous les sujets qui agitent l’époque. Or, comme il n’est hélas pas admis de n’avoir pas d’avis sur certains d’entre eux, on assiste souvent à un défilé d’improvisations et d’approximations, avec pour seul critère, non moins souvent, le désir de se placer du bon côté de la barrière statistique. Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, n’échappe évidemment pas à la règle. En mars dernier, lors d’une conférence de presse, elle a par exemple été interrogée sur la chasse à courre… et s’est lancée dans un piètre numéro d’équilibriste qui montre, tout à fait clairement, que la figure de proue du RN s’efforce désormais de séduire l’électorat animaliste, tout en essayant de ne pas trop se mettre à dos le monde de la chasse. Un pari risqué, car résoudre la quadrature du cercle demande, semble-t-il, un minimum de préparation.
Contradictoire, fumeux, voici quel fut en l’occurrence la teneur de son discours : « A titre personnel, je suis contre [la chasse à courre]. Un certain nombre de chasses n’arrivent plus à être admises par une majorité de Français, parce qu’elles expriment une cruauté qui n’est pas nécessaire ; elles relèvent certes de traditions, je peux l’entendre, mais qui heurtent, qui choquent l’attachement à la protection animale. L’attachement à la prise en considération de la souffrance animale est un sujet qui aujourd’hui touche beaucoup de Français. » ‘‘Un certain nombre de chasses’’ : combien, et lesquelles donc ? ‘‘Une cruauté qui n’est pas nécessaire’’ : qu’entend-elle par ces mots ? Elle-même l’ignore, sans doute… Faut-il comprendre qu’il existe à ses yeux une cruauté ‘‘nécessaire’’ ?
Poursuivons : « Mais je ne suis pas opposée à la chasse traditionnelle, qui remonte à l’origine du monde (…), déclare-t-elle, car (…) c’est le moyen d’avoir une maîtrise de l’ensemble du territoire, une maîtrise aussi de la biodiversité. On sait que le développement anarchique d’espèces peut nuire à des centaines d’autres espèces par des effets de chaîne. Donc, il m’apparaît que le combat contre la chasse de manière globale qui est effectué aujourd’hui l’est sur des fondements, dans l’immense majorité des cas, injustes. » Textuel. Mais qu’est-ce donc que la vénerie, sinon une « chasse traditionnelle » ? Bien plus : qu’est-ce qu’une chasse qui ne serait pas « traditionnelle » ? En outre, point important, Marine Le Pen défend ici explicitement la chasse sous les deux seuls aspects suivants : d’une part, la « présence » qu’elle induit dans les territoires – la candidate songe probablement aux impératifs de ‘‘gestion’’ – et, d’autre part, la chasse utile à la biodiversité, c’est-à-dire la chasse de régulation, dont nous avons à maintes reprises expliqué, dans nos colonnes, qu’elle n’est qu’une conséquence de la chasse passion ou culture, et en aucun cas la cause. Pour le dire d’un mot, et quitte à irriter, Marine Le Pen tient là un discours proche de celui que tiennent certains chasseurs lorsqu’ils répètent à l’envi que la chasse est légitime parce qu’elle est utile. Quand elle ne sera plus ‘‘utile’’ – et c’est parfaitement envisageable à moyen ou long terme –, nous n’aurons plus qu’à ranger fusils, arcs et autres carabines. Ne parlons même pas de la vénerie, de la fauconnerie, des chasses de petits gibiers en général : relevant d’une cruauté non nécessaire, non utile, elles deviendraient alors totalement indéfendables.
Questions : outre l’ignorance abyssale dont Marine Le Pen fait montre à l’égard de ce qu’est la chasse ; outre l’opportunisme dont elle fait preuve en se saisissant des questions relatives à la prétendue maltraitance animale qui serait, à en croire les amis des bêtes, la règle et non l’exception ; outre, enfin, les contradictions manifestes de son discours sur la vénerie – ne devons-nous pas, nous, chasseurs, interroger notre manière de défendre notre passion, et cesser de prêter le flanc à nos adversaires en nous réduisant nous-mêmes à des agents mis au service du pays ? Par ailleurs, en remettant en cause les modes de vie traditionnels attachés à la diversité des pratiques cynégétiques – pour leur substituer l’idée de la chasse conçue comme fonction –, la présidente du RN ne cherche-t-elle pas à réduire à néant un pan entier du patrimoine culturel français, exactement comme tentent de le faire un Jean-Luc Mélenchon ou un Yannick Jadot ? Y a-t-il sur ce point une réelle convergence idéologique, où est-ce seulement l’occasion, pour les uns comme pour les autres, de tirer impunément et à peu de frais sur une cible idéale – les chasseurs ?