A l’heure où nous rédigeons ces lignes, plusieurs manifestations sont programmées à travers toute la France au cours du mois de septembre : si leurs modalités ne sont pas encore complètement arrêtées, on sait déjà qu’elles auront pour vocation de défendre à la fois la chasse et ce que d’aucuns appellent la ‘‘ruralité’’ contre les attaques qu’elles subissent actuellement. Venu de province, ce mouvement de contestation – légitime dans la mesure où il doit être et demeurer partout pacifique – pourrait aboutir, le 5 mars prochain, à l’organisation d’une grande manifestation dans les rues de la capitale, semblable, espérons-le, à celle que nous avons connue en 1998, et à laquelle seraient conviés non pas seulement les cynégètes et leurs sympathisants, mais l’ensemble de celles et ceux qui estiment, pour diverses raisons, que leurs modes de vie au cœur des territoires sont menacés de disparaître sous les coups, principalement, d’une certaine conception de l’écologie.
Initié par les instances de la chasse, cet appel à faire entendre les voix de la ruralité vise tout autant à interpeller l’opinion que le politique : cependant, pour être crédible, facteur d’unité et donc d’efficacité, il suppose que soient établis a priori une ligne idéologique cohérente et un discours clair. Car il ne s’agit pas là d’additionner les mécontentements particuliers dans une espèce de fourre-tout qui deviendrait vite illisible, mais, bien au contraire, d’en identifier les principales causes communes pour se donner les moyens de les combattre ensemble.
Depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies, en effet, un vent de remise en cause radicale souffle sur notre pays, ses mœurs, ses usages, ses traditions. Non seulement il souffle, mais il s’intensifie, presque de jour en jour. Le passé, les acquis millénaires, tout ce qui fut transmis, éprouvé et parfait au fil d’innombrables générations est maintenant frappé de suspicion et de critique arbitraire – pire : de détestation quasi automatique. Evidemment, la chasse et la diversité des pratiques qu’elle recouvre n’échappent pas au couperet de ce progressisme qui, à l’image des idéologies dévastatrices du XXe siècle, se gargarise de concepts et de raisonnements abstraits qu’il prétend, sans transition, imposer à chacun comme l’unique vérité à suivre en tout lieu. Car nous en sommes bien là : au nom d’une Nature personnifiée, au nom d’une planète divinisée au sens propre, au nom d’animaux qu’il conviendra bientôt de ne plus désigner par leur espèce, et que l’on a, du reste, sciemment réduits à leur capacité de souffrir – on nous intime de détruire et d’oublier une part essentielle de notre patrimoine vivant et de nos identités plurielles.
Soyons clairs : les attaques répétées à l’encontre de la chasse doivent être entendues et intégrées dans une dynamique beaucoup plus vaste de déconstructions, déconstructions qui ont toutes pour objectif de rapetisser l’homme, de l’humilier, de le rendre amnésique et de le mettre au pas. La récente interdiction des chasses dites ‘‘traditionnelles’’ (glu, pantes, etc.) ne peut pas être envisagée, par exemple, comme un phénomène isolé : les mêmes qui crient victoire à ce sujet rêvent d’un pays – sinon d’une planète – où le ‘‘réensauvagement’’ deviendrait la règle, où les nuisibles seraient enfin protégés, où l’érection de sapins de Noël serait prohibée, où l’alimentation carnée ne serait plus qu’un mauvais souvenir, où l’être humain vivrait confiné dans des zones urbaines conçues de telle manière qu’il n’ait point à en sortir, où le tourisme (de masse, cela va de soi !) n’aurait plus droit de cité, où la pêche de loisir serait interdite, où l’utilisation des animaux serait interdite, etc., etc. En somme, ce n’est pas aux seules conséquences que nous avons le devoir de nous opposer, mais à l’agrégat d’utopies qui les rend possibles, et qui se nourrit, chaque jour, d’un catastrophisme entretenu à dessein.
S’ils sont encore minoritaires, les tenants de l’animalisme, tout comme ceux de l’écologisme radical, sont en train de réussir le prodige de répandre leurs thèses dans tous les esprits, et dans tous les milieux. Cela se fait parfois brutalement – songeons aux vidéos de L214 –, souvent de façon insidieuse – pensons à telle star engagée discourant à la TV sur la pollution des océans par le plastique, entre deux phrases d’autopromotion… Pas un jour sans injonctions à vivre autrement, parce qu’il en va de l’avenir de la Terre. Pas un jour sans injonctions à être ‘‘éthique’’ ou ‘‘écoresponsable’’, parce que la biodiversité, assènent ces gens, est totalement aux abois. Pas un jour sans que l’on ne crie aux oreilles de tous : « Vous êtes coupables ! Honte à vous ! » Comment imaginer, dès lors, qu’une partie de l’opinion ne se sente pas obligée de rejoindre au plus vite la meute des nouveaux inquisiteurs ? Comment imaginer que, dans une telle atmosphère – mélange de pureté morale et de terreur bienveillante –, certains de nos contemporains ne soient pas tentés de se mettre, eux aussi, en quête de déviants à identifier, dénoncer, et condamner ?
D’autant que ces derniers leur sont tout désignés par les propagandistes du Bien : chasseurs, d’abord, mais également pêcheurs, équitants, éleveurs, agriculteurs, aficionados, dresseurs, passionnés de cirque, de véhicules automobiles, etc. – la liste est longue ! L’emprise d’une telle constellation idéologique sur la doxa (et singulièrement chez les plus jeunes) est désormais une évidence, puisqu’on la retrouve à l’université, parmi les scientifiques, dans le monde du showbiz, celui du journalisme, celui du marketing… mais aussi, et c’est très important, dans la sphère politique, laquelle est régulièrement sommée de se prononcer devant ce tribunal autoproclamé qui confisque tout de l’écologie.
Au vrai, nous sommes à un tournant civilisationnel qui, sous couvert d’appliquer partout le fameux principe d’inclusion, ouvre en réalité la porte à une multitude d’exclusions : que vaut telle pratique culturelle ancestrale locale, face au rouleau compresseur d’une éthique sans racine ? Comment le fait même de capturer ou de tuer un animal par l’acte de chasse serait-il justifiable, dans un univers moral qui s’impose le végétarisme voire le véganisme comme idéal ? Comment la moindre intervention de l’homme sur les espaces naturels serait-elle dorénavant légitime aux yeux du public, quand on répète à l’envi que ledit homme est essentiellement destructeur, et que la nature, au fond, se débrouille bien mieux toute seule ?
Si donc un réel mouvement de défense de la ‘‘ruralité’’ au sens large doit émerger dans les semaines et les mois qui viennent – à travers des tribunes, des interventions médiatiques et autres manifestations –, il semble capital, d’une part, d’en déterminer par écrit les intentions et revendications précises, et, d’autre part, de montrer que la question qui se pose aujourd’hui n’est pas seulement celle de la suppression de telle ou telle tradition jugée ‘‘cruelle’’ ou ‘‘barbare’’, mais celle du maintien, ou non, d’une civilisation que d’aucuns s’acharnent à démanteler et rêvent de voir périr. Serons-nous assez unis et assez adroits pour le faire ?