Voilà un livre qui doit faire grincer quelques canines écologistes… jusqu’aux gencives ! Un choc. Philosophe – le mot suffit : il nous le pardonnera –, Yves Roucaute nous accule : sauver la Planète, ou l’Humanité ? « Les petits bonshommes verts », « idolâtres de Gaia », ont « choisi ». Notre « Mère La Terre » – prosternation, et sacrifices à l’avenant, tranchent-ils. Scientifique jusqu’au bout des doigts, de l’âme, l’auteur, lui, répond : non,
« l’animisme » moderne qui sanctifie Dame Nature et sa bonté essentielle est un mensonge, le support d’une « idéologie » mortifère. Aussi s’attache-t-il, pour étayer son propos, à une échelle qui nous dépasse au quotidien :
plusieurs milliards d’années. Le Big Bang, la formation de la Terre, l’apparition des premières manifestations du vivant, l’aube des ancêtres de l’Homme – hécatombes sur hécatombes, destructions sur destructions puis renaissances, puis destructions encore : montées des températures, glaciations, séismes, éruptions volcaniques, inondations, tempête cataclysmiques… Le lot de la planète, bien avant 1850, décennie au cours de
laquelle on commença à enregistrer les « records » de mercure dont on nous abreuve à longueur de journaux. Rien de nouveau sous le Soleil, ni sous le soleil de la Science – selon Yves Roucaute. Rien, en tout cas, que l’on puisse imputer à l’Homme, et surtout dans de telles proportions. Nulle « harmonie », nul « équilibre » quand on atteint une perspective qui excède le minuscule calendrier des Greta Thunberg et autres justiciers climatiques. La « véritable écologie » ? Celle qui correspond à l’étymologie de ce mot : « oikos », qui signifie ‘‘maison’’. Maison ? Le symbole même de « l’artificialisation de la nature », que l’homme, depuis ses origines, s’est ingénié à poursuivre pour ne pas mourir. Nous devons « dominer la nature », répète Roucaute, anthropocentriste assumé, et adhérer à la « croissance », qui est développement, facteur de liberté, de bien-être, de démocratie, de
paix, parce qu’elle conditionne les moyens qui les permettent. La décroissance prônée par maints écologistes ? Morts, épidémies, menaces pour l’humanité. Végétarisme, véganisme, antispécisme ? Impostures, hypocrisie. L’« énergie », qui ferait tant défaut ? Il suffirait de la cueillir, parce qu’elle est « infinie »… La puissance critique que Roucaute déploie a la force des éléments multimillénaires dont il rappelle le souvenir : implacable, redoutable. L’homme est « Homo creator », affirme-t-il. C’est son véritable « propre ». À l’obscurantisme oublieux des verts croisés, il répond : Science. À chaque ligne. La planète ? Elle est condamnée. Il le dit sans ambages, en fin d’ouvrage. A-t-il raison ? Ses arguments cognent. Il faudra aller ailleurs. Et c’est là que nous souffrons à cette lecture : Roucaute nous invite à épouser cet ailleurs. Robotique, biotechnologie transhumanisme, métamorphose de l’humain – pour sauver l’humain. Difficile, pour nous, de franchir ce pas. Par l’effet de sa lucidité, l’auteur aurait-il relégué la « beauté du monde » – chère à nos amis A. Finkielkraut, P. Bruckner, B. Levet ou M. Bock-Côté – aux arguments de peu de poids ? Son humanisme et son verbe si plein d’ironie voltairienne et d’humour nous intiment pourtant d’imaginer qu’il n’en est rien…

Le Cerf, 392 pages, 24 €.