Au vrai, ce n’est pas un livre de chasse stricto sensu, mais la chasse et l’Afrique y planent comme des ombres, comme des fantômes qui n’en finissent jamais de réapparaître… Mais, au fond, pouvait-il vraiment en être autrement, dans Les sept vies d’Adrien Conus, disparu à seulement 47 ans ? Ce Franco-Russe restait peut-être, jusqu’à ce solide ouvrage remarquablement bien documenté de l’historien et spécialiste des affaires militaires Pierre Servent, l’un des plus discrets compagnons de la Libération, même si Joseph Kessel en avait brossé un magnifique portrait dans Tous n’étaient pas des anges. Conus était bien cela : un héros mais pas un ange, incarnant « à lui seul nombre des figures de combattants irréguliers de cette époque violente et tellurique, héroïque et barbare ». Chaque homme a, certes, sa part de lumières et d’ombres, mais lui l’a poussée à son paroxysme. Cet ingénieur de formation a bien eu « une vie de roman ».

Un roman qui commence en Russie, où il sera tout à la fois un homme raffiné – passionné de piano et de poésie – et un bas-de-cuir. Il lit Kipling, chasse… Cet appel du grand large ne s’éteindra pas, au contraire, avec l’exil forcé, en 1917. Jeune ingénieur, il découvre l’Afrique, « dont il tombe éperdument amoureux », une vie africaine « pleine de tribulations ». C’est le moins que l’on puisse dire… Constructeur de voies ferrées, chercheur d’or, chef de village et… chasseur de fauves et d’éléphants (et de braconniers, disons-le), il « va se bâtir une réputation de broussard qui n’a pas froid aux yeux ». La guerre éclate ; Conus rejoint la France libre, se bat en Syrie : son courage et son esprit d’initiative (en matière d’armement) font merveille. « Son instinct de chasseur lui dicte sa conduite ».

Ensuite, ce sera Londres (où il verra beaucoup Kessel), la rude formation dans les commandos anglais ; le Vercors, où il échappera miraculeusement
à un peloton d’exécution et où il s’illustrera dans des opérations insensées ;
puis l’Allemagne. D’Outre-Rhin, il rentrera « avec une limousine et de magnifiques armes de chasse ». Il n’en profite guère, puisqu’il s’embarque
pour l’Indochine, où il sera chef d’un commando portant son nom. Là encore, ses méthodes sont efficaces, mais entourées d’un halo de souffre. Conus est rappelé à Paris. Sa carrière est terminée. Pourquoi ? Le mystère
reste entier. Comme le note Pierre Servent, il n’a sans doute pas hésité à s’affranchir du droit de la guerre, avec sa cohorte d’exactions en tout genre. Son caractère entier ne supporte aucune tutelle, et cela lui coûtera cher. « Comme les vieux éléphants couturés de cicatrices, il sent la fin venir ». Malade, il repart en tant qu’inspecteur des chasses pour l’Afrique-Équatoriale française, à Bangui. Il piste un éléphant, c’est son dernier. Il s’éteint là, en 1947. Il n’avait jamais oublié l’Afrique. Adrien Conus a bien eu sept vies.

Perrin, 368 pages, 23 €.