Disons-le d’emblée : dans ce livre, Luc Ferry opère un travail de synthèse remarquable, qui nous permet d’y voir plus clair dans cette véritable jungle idéologique qu’est l’écologie contemporaine. Celle-ci, en effet, n’a rien de monolithique : c’est au contraire le lieu où s’expriment et s’affrontent des sensibilités très diverses, à telle enseigne qu’une typologie de ces multiples obédiences devenait nécessaire. C’est désormais chose faite, et fort bien faite, Luc Ferry passant ici en revue – en moins de 300 pages : un exploit ! – les sept écologies qu’il identifie principalement dans le paysage politique actuel. Si toutes partent du constat que « la planète va mal », les analyses et les ‘‘orientations’’ proposées se heurtent parfois très violemment : qu’il s’agisse des « effondristes » – pour lesquels la fin du monde tel que nous le connaissons est inévitable, et dont les regards se portent vers l’après-catastrophe –, des « alarmistes révolutionnaires » – qui, anticapitalistes, plaident pour une « décroissance tous azimuts » et un processus de démondialisation à réaliser de gré ou de force –, des « réformistes » – adeptes du développement durable et de la croissance verte : une « imposture » aux yeux des deux premiers –, des « écoféministes », des « décoloniaux » ou encore des véganes, le philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale, offre, textes et arguments à l’appui, une critique imparable de chacune de ces obédiences, notamment de celles qui relèvent du « fondamentalisme vert ». De quoi désespérer ? Non, selon l’auteur, qui présente dans cet opus une septième voie, celle de « l’écomodernisme et de l’économie circulaire », laquelle, bien que minoritaire encore, emporte son suffrage : loin de l’écologie punitive, du catastrophisme et de la peur qui paralysent ou peuvent justifier les pires réductions de liberté, cette voie, longuement explorée par Luc Ferry, mise sur l’innovation technologique (nucléaire, agriculture cellulaire, etc.), une « croissance infinie » sans pollution – à travers une refonte totale du principe de recyclage –, mais aussi sur un « découplage entre l’homme et la nature » qui, en regroupant « des populations sur des territoires restreints », libérerait « de plus en plus d’espace de nature sauvage ou protégée »… Et c’est sans doute là que, pour nous, le bât blesse – et sévèrement. Au vrai, cet idéal de séparation est-il souhaitable ? Un tel pari sur les bienfaits de la high-tech n’est-il pas extrêmement risqué ? On frémit en songeant à ces villes du futur que Luc Ferry appelle de ses vœux, comme on frémit à l’idée de constater à quel point tous les écologistes, même les plus intelligents, entretiennent et nourrissent le fantasme d’une nature sauvée, parce que sanctuarisée…
Éditions de L’Observatoire, 288 pages, 20 €.