Vous la connaissez par cœur, cette ambiance. Et vous l'aimez aussi,
vous pouvez l'avouer. C'est le temps d'avant la chasse. Une pièce de théâtre à ciel ouvert, et un moment social important pour nos villages, où, bien souvent, la société de chasse est la dernière association vivante.

On a rendez-vous à 7 h, et, dans l'air frais de ce début d'automne, on boit un mauvais café dans un verre à moutarde en se dandinant devant la cabane. Avec les copains bien sûr. Oui, si on y va si tôt, c'est pour ça. De toute façon, on ne partira pas avant 8 h 30, alors… Autant écouter Gégé raconter son histoire pour la millième fois en se payant un peu sa poire. Oui, le sanglier a encore bien pris dix kilos, ce matin. Les rires fusent, et les accents de nos régions roulent comme des torrents de montagne.

Il y a des gens de tous horizons, et de tous âges, du chef d'entreprise à l'employé communal, du gamin à peine pubère au papy qui boîte, son siège sous le bras. Mais tout ce monde-là se sourit, s'embrasse même, se chambre, et s'interpelle. Il y a de la vie devant la cabane, aucun doute. Et en ce dimanche frisquet, ça réchauffe les cœurs.

Et puis, d'un coup, c'est le chef de battue qui braille ! Mais le temps que tout le monde se taise, on peut aller se resservir un café. C'est qu'il y a des grandes gueules, voyez-vous. Une blague salace s'envole, et c'est reparti pour dix minutes ! Ensuite, quand le silence se fait enfin parce que la gueulante s'est faite plus précise, le chef de battue se lance dans ses explications : « On va chasser chez la mère Mangin ! On a fait le pied ce matin, et y'en a au moins six ! On va fermer de là où Bébert a tué l'année dernière, jusqu'au pin tordu de la piste à Jojo ». Autant vous dire que si vous ne connaissez pas le territoire, vous commencez à regarder autour de vous en espérant croiser des yeux aussi désespérés que les vôtres. En vain, bien sûr.

Mais vous croyez que ça l'arrête, le chef de battue ? « Ensuite, de l'angle de la cabane cassée jusqu'au tas de fumier, et tout le chemin qui va chez Norbert, depuis l'école. Mais après les poubelles de chez la fille du maire, hein ! Avant y'a le grillage, ça sert à rien. Et puis, bah… Il m'en faut au moins huit à la route pour arrêter les chiens… » C'est là que Pagnol revit chaque dimanche. Ça rit, ça crie même…

Bon, pas le nouveau, qui lui… sait qu'il va laisser son fusil au fourreau et finir la tête comme un compteur parce qu'il aura passé la matinée au bord de la route. Et, en prime, il va se faire klaxonner de temps en temps par des antichasse en route pour acheter du cochon de batterie sous cellophane ! Mais il apprend ce qu’est son village.

C'est là que se niche une culture inconnue des autres. C'est là que se racontent les histoires, et que se chantent les légendes. C'est là que la chaleur humaine se propage et apaise les souffrances de la vie. C'est là, dans ce joyeux bordel, que s'incarne un mode de vie qu'il faut protéger à tout prix. Parce que la chasse et ses battues populaires connectent les hommes, et fendent les trognes burinées d'un sourire authentique.