Au matin de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le premier tweet de la candidate du parti animaliste à l'élection présidentielle s'indignait contre les conditions de vie des canards gras. Je crois que cette première phrase pose bien les bases de la pensée antispéciste.

Ce même matin, je me suis réveillé sidéré. Abasourdi. Au cœur de notre continent, des chars ont commencé à tuer des gens. Voici la vérité crue, débarrassée de toute considération partisane ou géopolitique. Et il se
trouve encore des militants pour militer, envahir un stand au salon de l'agriculture ou tweeter leur haine de la chasse.

Le monde s'est arrêté, mais pas le leur. Oui, ils ont un monde à part ces gens-là, l'ignoriez-vous ? Un monde où la vie humaine passe après la vie d'un canard. Un monde où un coup de pied au cul d'un chat fait plus de bruit que l'exécution d'un humain sur l'autel de je ne sais quelle barbarie.

Oui, je suis abasourdi. Abasourdi par la violence inhérente à notre espèce, que j'avais oubliée, et que je me prends sèchement dans le museau. Abasourdi de voir que certains humains occidentaux ne prennent pas la mesure des dangers qui les guettent. Abasourdi de voir qu'on peut encore être activement antichasse quand une puissance nucléaire fait planer une menace d’une telle ampleur.

Dans ce monde, qui soudain perd toute structure solide, que me reste-t-il ? La certitude de savoir que je saurais, le cas échéant, prendre mon arme et nourrir ma famille. Cette guerre européenne pose des questions sur notre mode de vie ; nos sociétés ultra-urbanisées et ultra-dépendantes, où la centralisation est la règle, où toute autonomie réelle a été abolie. Nos sociétés fondées sur la confiance en nos institutions, sur une stabilité inébranlable de notre mode de vie. Qu'en reste-t il vraiment ? Et même si ce conflit s'éteint et que la menace s'éloigne, que reste-t-il de l’immuabilité des choses ? Qui sait si, demain, la chasse ne fera pas la différence entre vivre et mourir ? Qui sait si un sanglier de 80 kg ne deviendra pas, demain, une fête pour une dizaine de familles ?

De quel aveuglement faut-il être victime pour ne pas voir que le monde a changé ? Peut-être même qu'il n'a jamais été différent. Peut-être nous sommes-nous perdus dans une illusion d'éternité, amnésiques et incapables d'anticipation.

Je pense à nos anciens. Je pense à eux, qui ont inventé ce qu'on appelle aujourd'hui les ‘‘chasses traditionnelles’’. Oui, c'est de la culture, comme on dit. Mais c'était d'abord la mise en œuvre de l'ingéniosité humaine au service de la survie quand les ventres étaient creux. Loin de moi l'idée de tomber dans le catastrophisme ou le survivalisme (j'entends déjà les loups hurler à l'indécente récupération), mais notre histoire nous montre que nous aurions tort de croire en la paix éternelle ; et je vous l'avoue sans honte : je loue aujourd'hui mes connaissances cynégétiques. Celles qui sauront mettre des protéines sur la table quand le petit vendeur bio aura depuis longtemps pris la poudre d'escampette et qu'il ne restera que moi, et la réalité crue des choses.