C’est en 1802, sous l’Empire, que débute l’histoire de cet équipage angevin, fondé par la famille Maussion du Joncheray, lors de la démocratisation post-révolutionnaire de la vénerie, réservée sous l’ancien Régime à la maison royale et à quelques très grands seigneurs. Avec une vingtaine de chiens tricolores, Gabriel-Camille du Joncheray chasse loups et sangliers. Les équipages de l’époque rassemblent autour de la passion du courre membres de la famille, voisins et amis, et le bouton est offert. En 1844, son fils, Raoul, fonde une société de chasse pour amodier la forêt de Chanveaux. La coutume est celle que Foudras décrit à maintes reprises dans ses romans et récits : « Deux fois l’an, la société réunit des maîtres d’équipage amis qui viennent passer une semaine ou deux pour chasser tout ce qui est courable : loup, sanglier, cerf, chevreuil, renard ou lièvre ! Chacun vient avec ses chiens, son piqueur, sa bonne humeur et ses amis ». Lorsque les loups se raréfient dans la seconde moitié du siècle, les chiens sont mis dans la voie du sanglier puis, dans la décennie 1880, quand les bêtes noires se font à leur tour plus rares, dans celle du chevreuil, sous le fouet de Gabriel du Joncheray et de ses associés. Avec des chiens très en curée, les prises sont régulières dans des forêts vives en animaux où le change était fréquent. Durant l’entre-deux-guerres, les chasses reprennent avec d’autres équipages de la région, dans la voie du cerf comme du chevreuil. À la mort de Gabriel du Joncheray, qui avait sonné son 1373e hallali de chevreuil, son frère cadet François reprend le fouet jusqu’à sa mort en 1934 ; puis le rallye Thiouzé revient à Hubert du Joncheray, qui créance sa meute de chiens noirs et blancs dans la voie exclusive du cerf, bien que jugeant la vénerie du chevreuil plus difficile et donc plus passionnante. Après avoir chassé tous les animaux courables dans plus de soixante forêts, il décide de démonter en 1965. Cependant, son fils Gérard le convainc de n’en rien faire et poursuit avec brio la tradition jusqu’en 1991. Rédigée avec talent par Hervé de Jouffrey, petit-fils de Hubert et neveu de Gérard du Joncheray, cette saga cynégétique, illustrée par une riche iconographie, est beaucoup plus que le livre de chasses d’un équipage célèbre par son ancienneté, sa ténacité, et ses succès. C’est aussi une émouvante évocation d’un monde que nous avons perdu – la France rurale des XIXe et XXe siècles, avec ses rites et ses figures – et un hommage vibrant à la passion de la ‘‘grand chasse’’.
Montbel, 220 pages, 39 €