C’est une information qui est passée assez inaperçue, malgré son importance. Le 19 mai dernier, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Bérangère Abba, secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, ont signé, en présence d’Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux, une convention en vertu de laquelle le jardin de l’hôtel de Roquelaure, siège du ministère, est devenu un ‘‘refuge LPO’’.
Les alentours de cet ancien hôtel particulier construit au XVIIIe siècle, et situé dans le VIIe arrondissement de Paris, abriterait, en effet, fauvettes à tête noire, pics épeiches et autres verdiers : des oiseaux évidemment – et heureusement – protégés, mais que, visiblement, notre ministre de l’Écologie éprouvait le besoin de protéger encore plus…
De fait, à cette occasion, une plaque matérialisant la labellisation LPO ainsi que deux nichoirs – excusez du peu – ont été posés. Un signal fort, on l’imagine aisément, à l’adresse des petits passereaux parisiens qui, sans nul doute, n’ont pu qu’apprécier à leur juste valeur cet engagement inédit et courageux en leur faveur, de la part de mesdames Pompili et Abba – sous la tutelle desquelles, rappelons-le, est placée la chasse française.
Certainement cette labellisation relevait-elle de l’urgence absolue, car, en devenant officiellement refuge de la LPO, le jardin de l’hôtel de Roquelaure va dorénavant bénéficier de l’expertise unique au monde – n’ayons pas peur des mots – de la célèbre association qui fut, jadis, fondée par des chasseurs : pose de nichoirs adaptés, plantation de végétaux propices à la petite faune, aménagements divers pour la biodiversité, et non pas contre… Toutes choses qui ne viendraient à l’esprit de personne. Vraiment personne.
Ironie mise à part, il y a tout de même lieu de s’interroger sur ce choix du ministère de la Transition. Où donc est passé le devoir de neutralité qui est censé être au cœur de ses décisions ? Faut-il voir ici un symbole, celui d’une instance qui se laisse volontairement assiéger par une sensibilité de l’écologie, et une seule ? Comment le monde cynégétique doit-il interpréter cet événement, qui peut parfaitement s’entendre comme du dénigrement venant de son ministre de tutelle ? Le monde cynégétique, mais aussi l’ensemble des associations – parfois en conflit, il est vrai, sinon souvent – qui prétendent œuvrer pour la conservation de la nature, sous quelque forme que ce soit ? Même si les représentants de la chasse française manquent quelquefois de diplomatie, emportés par leur militantisme au point d’en devenir foncièrement maladroits, il n’en demeure pas moins que mesdames Pompili et Abba, dont on ne rappellera pas une nouvelle fois les fonctions, auraient peut-être été mieux inspirées de refuser ce qui s’apparente au fond à un noyautage idéologique consenti, singulièrement en ce lieu si important.
A l’aune de cette inquiétante connivence – inquiétante, car elle met à mal la politique, en l’assujettissant, eu égard à l’écologie, à une seule obédience –, Allain Bougrain-Dubourg, lobbyiste de vieille racine s’il en est, peut déclarer tout sourire : « J’adresse ma reconnaissance à Barbara Pompili, et me réjouis que l’État participe à ce nécessaire élan citoyen pour sauvegarder la nature de proximité en ce lieu si symbolique. Chacun doit agir à son échelle, et contribuer à l’effort collectif face au déclin de la biodiversité et au changement climatique. » Avec la bénédiction du ministère, et de nombre de médias feignant d’ignorer les enjeux d’une telle confiscation. Chacun jugera.