Winchester : voilà bien un nom qui n’est inconnu de personne ! Quel que soit le rapport que l’on entretient avec les armes, impossible de ne pas songer, lorsqu’on l’évoque, à une certaine culture nord-américaine peuplée d’Indiens et de cowboys, au mythe de la conquête de l’Ouest et aux grandes figures qui lui sont attachées… Il y a quelques années (voir Jours de Chasse n°65), nous avions raconté dans nos colonnes l’histoire d’Oliver Winchester (1810-1880), fondateur de la marque, archétype du self-made man qui, venu de rien, était passé de la fabrication de chemise au commerce des armes, avec un tel succès à la clef qu’il en devint richissime… Ce que l’on connaît peut-être moins, c’est l’histoire de la belle-fille d’Oliver, Sarah, laquelle, à la mort de son beau-père puis, trois mois plus tard, de son mari William Wirt Winchester, hérita d’une fortune colossale (le couple n’avait eu qu’une fille, décédée en bas âge, et la veuve ne se remaria pas) grâce à laquelle elle fit notamment construire à San Jose (Californie), loin de New Haven – ‘‘patrie’’ de Winchester –, une immense et étrange demeure sur les conseils, dit-on, d’un voyant de Boston qui l’aurait mise en garde contre les esprits des innombrables personnes passées de vie à trépas à cause des fameuses carabines… Ésotérique et labyrinthique, au sens propre, la maison, constituée de plus de 160 pièces, est une vraie curiosité architecturale : on y trouve des escaliers menant à des plafonds, des portes donnant sur des murs ou sur le vide, etc. Surtout, la légende rapporte que Sarah aurait reçu l’ordre de ne jamais cesser de construire et d’agrandir ladite demeure, sous peine de mourir dans l’instant. De fait, toujours selon la légende, les travaux
auraient duré presque quatre décennies – 24 heures sur 24 ! –, jusqu’au décès de l’héritière survenu en 1922, à 83 ans. Sarah Winchester était-elle folle ? Pourquoi avoir bâti un tel édifice (que l’on peut aujourd’hui encore visiter), dont l’architecture aurait été dictée, affirme t-on, par les esprits à la maîtresse des lieux, et dont une partie souffrit du terrible tremblement de terre qui ravagea la région en 1906 ? Au terme d’une enquête méticuleuse, c’est entre autres à ces questions que répond Céline du Chéné. Au moyen d’une écriture efficace et d’un certain nombre de détours historiques et
de documents essentiels, l’auteur met à mal, avec force pertinence, le fantasme d’une Sarah Winchester ‘‘habitée’’ par des fantômes ou carrément
aliénée. Si les dernières pages pèchent un peu par excès d’interprétation féministe et décolonialiste, le livre lève le voile sur une personnalité et une
œuvre assurément – et injustement – instrumentalisées par la postérité.

Michel Lafon, 240 pages, 18,95 €.