Les esprits chagrins diront que ce n’est pas vraiment à proprement parler un ouvrage cynégétique. Difficile de leur donner tort, même si le personnage de cette biographie, François Mathet (1908-1983), était un fervent disciple de saint Hubert, et qu’il est mort à la chasse lors d’une battue au chevreuil… À dire vrai, nous qui sommes amateurs de belles
choses, de l’ouvrage bien fait et des campagnes, nous ne pouvions passer sous silence la vie de cet homme au destin hors du commun, qui fut le plus grand entraîneur de chevaux de course d’Europe, marquant les esprits
d’une manière inimaginable. Il renaît sous la plume de Theresa Révay, qui nous livre là une biographie de premier plan. Rien ne prédestinait
François Mathet, lui, l’élève dilettante, à une carrière pareille, si ce n’est un sens de la discipline, de l’observation et de la rigueur acquis lorsqu’il était officier – il s’illustra brillamment, notamment au Liban – et allié à une intelligence hors pair, si ce n’est une passion dévorante pour le pur-sang, à telle enseigne qu’il deviendra le meilleur gentleman-rider (cavalier qui monte en courses en amateur)de sa génération. Il quittera d’ailleurs l’armée pour le difficile métier d’entraîneur, où l’on dépend de la versatilité des propriétaires, et de la qualité des chevaux… Les débuts se font à Maisons-Laffitte, dans le froid, pendant la guerre… Les résultats se font attendre avant la rencontre – décisive – avec François Dupré (propriétaire, entre autres, du Plaza), qui lui confie des chevaux : il s’installe à Chantilly. La réussite sera foudroyante, éclatante, qui ne se démentira pas jusqu’à sa mort. Il attire les plus grands propriétaires, qu’il s’agisse de l’Aga Khan, de Guy de Rothschild, d’Etti Plesch… Mais elle n’aurait pas été si éclatante si François Mathet n’avait pas croisé la route d’Yves Saint-Martin, et l’inverse est aussi vrai. Ils formeront un duo éblouissant. Un duo électrique, tant il est vrai qu’ils se brouilleront avant de se réconcilier. Theresa Révay nous raconte, avec grand talent et force anecdotes, cet homme presque au jour le jour, cassant, taiseux, à la fois admiré par le milieu, détesté par ses pairs,
avec son courage, son sens de l’honneur, mais aussi sa dureté, sa part d’ombres, dont ses fils mettront du temps à se remettre. Mais n’est-ce pas le lot de ces personnages dont la vie est un roman ?

Taillandier, 445 pages, 22,90 €.