Le chasseur est un gastronome ou, plus exactement, la suite naturelle de la chasse est la table. Là où l’on va goûter, déguster, partager le fruit de sa quête. Comme le chasseur aime à raconter ses exploits (et bien des livres sont là pour en témoigner), il aime aussi retrouver ses compagnons autour d’un bon plat de venaison et d’une bonne bouteille. Cependant, la lecture des maîtres anciens relance quelque peu l’éternel débat sur l’apparition première de l’œuf ou de la poule ! Car, à bien y réfléchir, c’est avant tout pour manger que l’homme s’est fait chasseur. Ce n’est pas parce qu’il rapportait au foyer quelques aurochs ou castors pour le cuir ou la fourrure que sa chère et tendre s’est imaginé d’en faire de bons petits plats. Temps immémoriaux, pensez-vous… pas tant que cela. L’historien de la vénerie du cerf, Fernand du Boisrouvray, indique dans son remarquable ouvrage Le Cerf et sa vénerie à travers les âges que nous ne sommes « pas au bout de [nos] surprises » en lisant Le Livre de chasse du roi Modus. Il est vrai que Du Boisrouvray a méthodiquement lu et analysé tous ces traités, de Gaston Phébus à d’Yauville… Henri de Ferrières écrit donc à la fin du XIVe siècle : « La saison où l’on chasse le cerf est entre la Sainte-Croix en mai et la Sainte-Croix en septembre ; le coeur de la saison, où ils ont la meilleure venaison, est environ la Madeleine… [22 juillet] ». Ainsi, comme le souligne son commentateur : « Modus chasse d’abord et surtout pour la viande ! "C’est encore àcette époque-là qu’ils ont le plus de graisse", s’empresse-t-il d’ailleurs d’ajouter. Et s’il ferme la saison le 14 septembre, “date où ils commencent à entrer en rut”, c’est parce que le brame ne va pas manquer de rendre [les cerfs] nauséabonds, filandreux et maigres. » Aujourd’hui, si on ne chasse plus pour manger, on chasse en partie pour déguster. Et le livre de recettes n’en est que plus utile. En effet, si « le gibier fait les délices de nos tables […], ces qualités n’y sont pas tellement inhérentes qu’elles ne dépendent beaucoup de l’habileté du préparateur qui s’en occupe. Jetez dans un pot du sel, de l’eau et un morceau de boeuf, vous en retirerez du bouilli et du potage. Au boeuf, substituez du sanglier ou du chevreuil, vous n’aurez rien de bon ; tout l’avantage, sous ce rapport, appartient à la viande de boucherie. Mais, sous les ordres d’un chef instruit, le gibier subit un grand nombre de modifications et transformations savantes, et fournit la plupart des mets de haute saveur qui constituent la cuisine transcendante », rappelait Brillat-Savarin dans sa célèbre Physiologie du goût en 1859 ! La plus remarquable contribution à cet art du prolongement de la chasse par la gastronomie au moyen de livres de cuisine fut sans conteste celle de Benoît Viollier. Chef triplement étoilé, Meilleur ouvrier de France et chasseur, il avait décidé de “traiter” l’intégralité des gibiers d’Europe. Ainsi, au-delà des classiques, on lui doit d’extraordinaires recettes de bouquetin ou de renne, mais aussi de « gibiers de rencontre », ragondins ou marmottes, qui concluent La Cuisine du gibier à poil d’Europe qu’avait préfacé le regretté Olivier Dassault. Son second volume sur le gibier à plume est encore plus incroyable. Il y donne des recettes d’oiseaux les plus étonnants, défendant ainsi l’idée que tout est bon dans le gibier ! Fort de sa réputation, s’adressant à un public international et publiant en Suisse, il peut certes donner sans risque des recettes de gibier protégé en France. Mais, surtout, il met son talent et son imagination au service des prises les plus improbables : pie et choucas, cormoran ou cygne, pingouin islandais, francolin, macreuse ou harelde de Miquelon.