Soyons clairs : le jugement rendu le 28 juin dernier par le Conseil d’État et confirmant que la chasse à la glu est illégale constitue une vraie et inquiétante victoire de nos opposants. Cette chasse dite ‘‘traditionnelle’’ n’était plus pratiquée que dans cinq départements du Sud-Est de la France : les Alpes-de-Haute-Provence, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et le Var.
Sans entrer dans les détails, il convient d’indiquer qu’en novembre 2019 l’association One Voice et la Ligue de protection des oiseaux ont tout d’abord saisi le Conseil d’État, qui a lui-même, ensuite, demandé à la Cour de justice de l’Union européenne de préciser l’interprétation de la directive ‘‘Oiseaux’’ du 30 novembre 2009, laquelle, comme il est indiqué sur le site du Conseil d’État, « interdit le recours à des méthodes de capture massive ou non sélective, et cite, notamment, parmi les pratiques en principe interdites, la chasse à la glu. La directive prévoit toutefois qu’une dérogation peut être accordée, ‘‘s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante’’ pour capturer certains oiseaux en petites quantités, ‘‘dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective’’ ».
Il revenait par conséquent au gouvernement français et à la FNC de prouver que la chasse à la glu ne conduit à prendre qu’une petite quantité d’oiseaux non visés par cette pratique, et que les individus capturés accidentellement puis relâchés le sont sans dommages importants (notamment au niveau du plumage) – ce qui, selon le Conseil d’État, n’a pas été fait suffisamment. Conclusion : « Après avoir interrogé la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État annule la règlementation française autorisant la chasse à la glu des grives et des merles car elle est contraire au droit européen […]. En outre, le fait qu’il s’agisse d’une méthode ‘‘traditionnelle’’ de chasse ne suffit pas à justifier une dérogation » – une idée réitérée en fin de texte, ce qui témoigne de son importance dans ce débat : le Conseil d’État « précise que si des méthodes traditionnelles de chasse peuvent être autorisées par la directive Oiseaux, le seul objectif de préserver ces traditions ne suffit pas à justifier une dérogation aux interdictions de principe que pose la directive ».
Nous ne reviendrons pas sur l’absurdité d’une telle décision, quand on sait le faible prélèvement d’oiseaux que représente la chasse à la glu, comparé non seulement à l’état des populations des espèces de turdidés concernées, mais aussi au nombre d’oiseaux, protégés ou non, qui, chaque année, succombent à cause des éoliennes ou sous les griffes des chats, par exemple. Dans une vidéo publiée sur YouTube le 2 juillet, notre collaborateur et ami Richard sur Terre a parfaitement montré les tenants et aboutissants de cette interdiction, en apostrophant avec justesse Barbara Pompili, qui s’était félicitée de l’issue de ce contentieux et y avait vu « une avancée pour la biodiversité » – et quelle avancée ! Nous nous permettons donc d’y renvoyer le lecteur.
Cependant, le traitement subi par la chasse à la glu est encore préoccupant à d’autres titres. Premièrement, ne soyons pas naïfs : en récusant l’argument de la tradition, c’est un signal fort qui est envoyé par le Conseil d’État à tous ceux qui, comme nous, soutiennent qu’une part essentielle de la légitimité de la chasse relève de sa dimension culturelle. Ainsi devons-nous sans cesse, et inlassablement, répéter que la diversité des modes de chasse est le reflet d’autant de modes de vie – et que s’attaquer aux premiers, c’est s’attaquer aux seconds. Or, au nom de quoi, dans un pays comme le nôtre qui se pique d’être une ‘‘exception culturelle’’, devrions-nous accepter de voir mourir une à une toutes celles qui la composent, concrètement, et particulièrement au cœur des provinces ? La propagande antichasse s’appuie désormais sur le droit européen pour, non pas seulement réduire à néant telle ou telle pratique cynégétique, mais aussi, surtout peut-être, une part de l’identité de celles et ceux qui y sont attachés.
Ensuite – et cette remarque est liée à la précédente –, ne sommes-nous pas actuellement en train de glisser imperceptiblement vers ce que d’aucuns appellent le gouvernement des juges ? Le cas de la chasse à la glu, avec tout ce qu’il induit, encore une fois, sur le plan culturel, ne devrait-il pas et ne devait-il pas d’abord relever du politique ? Rappelons que la justice est une autorité, non un pouvoir.
Enfin, comme l’a déclaré avec à-propos Willy Schraen : « L’action convergente entre la ministre de la Transition écologique et la Commission européenne commence à peser lourd sur l’avenir de nos passions et de nos traditions rurales ! » Sans doute y a-t-il lieu, en effet, de s’intéresser au rapport excessivement vertical qu’entretient l’institution européenne avec nos territoires, une verticalité qui est visiblement aujourd’hui mise au service des antichasse…