Il est des livres qu’on quitte à regret. Ils furent des haltes enivrantes loin
des turpitudes de la vie moderne. La Billebaude est assurément un de ces livres. Les éditions Montbel ont eu l’excellente idée de rééditer ce roman d’Henri Vincenot. Présenté dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot lors de sa sortie en 1978, il bénéficia, à juste titre, d’un franc succès. Déjà, à la fin des années 1970, la modernité dans sa pire acception avait opéré. Les âmes éprises de grands espaces, de nobles aventures et de liberté ne comprenaient plus cette course insatiable du progrès. Et la lecture de ce roman fut un refuge pour celles-ci. Que diraient-elles aujourd’hui… Henri Vincenot, enfant de la Bourgogne et pupille de la nation, nous peint le portrait de son grand-père maternel Joseph, surnommé le Tremblot, un personnage truculent dans cette Bourgogne du début du XXe siècle (« Mon grand-père était un homme sec et poilu. De sa personne s’exhalait un parfum de bête sauvage que je pus comparer plus tard à celui du marcassin »). Par ce grand-père, Henri découvre le monde envoûtant de la chasse. Pas celle des belles battues et des brodequins cirés mais celle de la billebaude, cette chasse du hasard : « Nous sommes des manants, il nous faut faire une chasse de manants, pas une chasse de seigneurs, croyez-moi ! Quelques méchants chiens lents qui ne dominent pas la bête sauvage et nous la promènent sous le nez une heure ou deux, voilà ce qu’il nous faut ! » Une profession de foi où le braconnage, à certains instants, est élevé au rang de science. Les scènes de chasse sont fort bien racontées. Le trait est alerte et gourmand.
Plus qu’un livre sur la chasse, La Billebaude est le témoignage émouvant, plein de vigueur et de joie saine d’une France paysanne qui a disparu. Une France qui travaillait, priait, chassait, les pieds ancrés dans la Terre et le regard tourné vers le crucifix ou la voie du ‘‘noir’’. Une France catholique et païenne, qui s’outrait qu’on puisse demander aux gens de pointer à leur travail : « Oui braves gens : à l’avant-garde du progrès et des techniques de pointe en matière de gestion des entreprises […], l’École des hautes études commerciales donnait, dès cette époque, l’exemple, en imposant aux élites estudiantines, aux futurs dirigeants de la société rationnelle, standardisée, technocratique et totalitaire en pleine gestation en Europe, cet avilissement quatre fois quotidien, cette abjecte génuflexion devant la machine ». Toute ressemblance avec nos temps actuels est purement fortuite.
Montbel, 344 pages, 25 €.