Le 7 décembre dernier, dans le cadre de l’émission ‘‘Votre instant politique’’ sur France Info, Johanna Clermont, que d’aucuns présentent comme l’égérie des chasseurs, et Cédric Villani, député ex-LREM de l’Essonne, étaient invités à débattre d’un sujet que la rédaction de la chaîne de radio avait ainsi libellé : « La chasse contre le bien-être animal ? »
Disons-le d’emblée : face au député Villani, rapporteur, en août 2020, d’une proposition de loi visant à mettre fin à l'élevage intensif, à l'élevage pour la fourrure, à la chasse à courre, à la chasse par déterrage, à la chasse à la glu et à la détention d'animaux sauvages dans les cirques, Johanna Clermont s’est très bien défendue, particulièrement lorsqu’il s’est agi du fameux article 4 de ladite proposition, article consacré à l’interdiction des chasses ‘‘traditionnelles’’.
Quand Cédric Villani, récitant son bréviaire d’inspiration antispéciste, a souligné l’existence de travaux « scientifiques » montrant « l’importance » de la « sentience » (sic !) animale dans le débat sur la vénerie notamment ; quand il a, au gré d’une envolée lyrique assez risible, indiqué qu’à ses yeux toute la question était de savoir comment l’homme pouvait « trouver se place de façon harmonieuse avec les animaux » ; quand il a, jouant sur le ressort de l’émotion avec force puérilité, précisé que l’animal traqué durant des heures par des chiens était nécessairement « en souffrance », et que cette seule observation suffisait à délégitimer la vénerie sous toutes ses formes – la jeune femme, visiblement à l’aise, lui a opposé de solides arguments, parmi lesquels la dimension on ne peut plus « naturelle » du courre, le fait que cette chasse reproduise, grâce au travail des chiens, le comportement de certains grands prédateurs – comme le loup – à l’état sauvage, sans oublier de rappeler fort opportunément que, dans le texte du parlementaire, est mentionné en toutes lettres le nom de Peter Singer, célèbre théoricien de l’antispécisme dont la pensée, extrémiste à bien des égards, ne s’offusque guère de pratiques telles la zoophilie…
Bref, au fil de cet entretien, Johanna Clermont a su glisser quelques éléments importants de contradiction, qui ont montré que le discours bien rodé du député n’est rien d’autre que le produit de considérations totalement abstraites, le produit d’une méconnaissance absolue de ce qu’est la chasse, de ce qu’est l’animal sauvage, et, surtout, du principe de sélection naturelle qui prévaut à travers tout acte de prédation. Or, pour aller dans le sens de notre Diane, attardons-nous sur le propos suivant de Cédric Villani, car il est au cœur de l’idéologie animaliste qu’il nous faut combattre : « Vous me disiez que dans la nature il y a de la violence, il y a de la domination, il y a de la mort, et que ça n’est pas un problème de le reproduire. Est-ce que, franchement, ça ne vous choque pas ? […] Est-ce que c’est un bon projet pour l’humanité en 2020 que de se mettre dans la peau d’une meute de loups ? […] Est-ce que ça fait partie de notre humanité que de faire souffrir des bêtes sans que ce soit nécessaire ? » Un propos qui inspire plusieurs réflexions.
D’abord, comme Johanna Clermont l’a immédiatement relevé, lors d’une chasse à courre, « l’homme n’a pas le rôle du loup dans la meute, ce sont les chiens » qui remplissent celui-ci. Ensuite, qu’entend-il par « bon projet pour l’humanité en 2020 » ? Est-ce à dire que, par « humanité », nous, hommes de 2020, avons pour devoir de remettre en cause les lois de la nature ? Eclairés, libérés de l’obscurantisme qui a régné jusqu’ici, faudrait-il que nous portions désormais le « projet » de nier l’existence de la souffrance et de la mort au sein du vivant ? Outre la prétention monstrueuse qu’une telle idée suppose (rappelons que les transhumanistes y travaillent actuellement, que ça n’est donc plus seulement un fantasme ou une fiction…), c’est, une fois de plus, une manière d’aveuglement quant à la réalité, et, d’autre part, l’expression d’un progressisme dangereux et dogmatique. Comme tout ‘‘ami des bêtes’’ qui se respecte, Cédric Villani réduit l’animal à sa capacité de « souffrir ». Rien d’autre ne compte ; il y revient sans cesse dans cet entretien ; et il ne semble à aucun moment percevoir que la souffrance, la peur, la possibilité du danger ont – comme la faim d’ailleurs – une fonction essentielle pour la pérennité des espèces : celle de développer la ruse, la faculté d’adaptation, l’intelligence pratique.
La question n’est donc pas : « est-ce que ça fait partie de notre humanité que de faire souffrir des bêtes sans que ce soit nécessaire ? », mais : n’est-ce pas faire preuve d’un manque inquiétant de lucidité que de ne pas voir que, dans la chasse à courre, puisque c’est d’elle qu’il est question ici, la « souffrance » infligée aux bêtes relève d’une « nécessité » qui est précisément celle que la nature et ses lois infligent à tous les animaux sauvages ?
Au vrai, on a bien de la peine à se figurer l’« harmonie » entre l’homme et l’animal que Cédric Villani appelle de ses vœux, et qui motivait en creux sa proposition de loi ! Faut-il imaginer une espèce d’Eden sans mort, sans violence, et au végétarisme universel ? Un Eden où le cerf méditerait sur le sens de l’existence en compagnie du loup, loup qui se contenterait… de compter les montons pour endormir sa faim, son instinct ? Il est facile de spéculer sur la base de notions telles « l’harmonie » ou le « projet » de « l’humanité » du XXIe siècle à seule fin de balayer d’un revers de la main – et avec beaucoup de démagogie – ce que l’homme a construit depuis des millénaires, et ce que la nature est depuis toujours ; mais il est infiniment plus difficile, n’est-ce pas, d’énoncer concrètement ce que recouvrent ou pourraient recouvrir ces notions.
Bien plus : loin du délire édénique de monsieur Villani, il est parfaitement loisible de soutenir que la chasse à courre – parce qu’elle prend acte des lois naturelles, parce qu’elle n’a pas l’outrecuidance de vouloir y déroger – est l’illustration même du rapport le plus harmonieux, c’est-à-dire le plus authentique, de l’homme à l’animal. Encore faut-il admettre, une fois pour toutes, que cette harmonie est un équilibre où vie et mort sont intimement mêlées, et qu’au sein du monde sauvage l’espèce est première par rapport à l’individu. Lorsqu’on a compris cela, on perçoit mieux pourquoi la vénerie et la chasse en général, dans nos contrées où elles ne sont plus la seule source de nourriture, subsistent et continuent de passionner. En chassant, nous reproduisons ce que n’importe quel prédateur réalise en son milieu et selon ses besoins, ses facultés ; si la cynégétique nous semble nécessaire, c’est qu’elle est l’un des tout derniers liens profonds, non médiatisés, entre l’homme et l’animal.
Que Cédric Villani et bien d’autres opportunistes de même facture ne fassent pas l’effort de l’entendre, c’est sans doute navrant ; cependant, comme l’a fait ici Johanna Clermont, c’est aussi une bonne raison pour continuer de l’expliquer à toutes celles et à tous ceux qui refusent de porter les œillères de l’empathie dévoyée, ce fléau de notre époque où la pensée se meurt de jour en jour.