C’est une page qui se tourne à la fondation François Sommer. En effet, après dix ans d’une direction sans faille, Philippe Dulac a quitté la présidence de cette prestigieuse fondation. La nouvelle n’est pas une surprise puisque son mandat arrivait à échéance en juin 2021. Le nom de son successeur était sur toutes les lèvres depuis quelques mois : il s’agit d’Henri de Castries (photo), administrateur de cette même fondation depuis 2019. Un profil brillant, qui va bien au-delà du seul establishment, puisque cet HEC-ENA (promotion Voltaire, la même que Dominique de Villepin et François Hollande) de 66 ans est l’une des figures les plus marquantes du capitalisme français, à la fois homme de réseaux et de pouvoir : administrateur encore de sociétés (Nestlé, HSBC…), il fut le président du groupe d’assurances AXA (de 2010 à 2016, succédant à Claude Bébéar, personnage non moins puissant du monde des affaires). Qui plus est, ce libéral assumé est, depuis 2012, président du comité de direction de l’influent groupe Bilderberg (cercle informel de dirigeants mondiaux qui se réunissent chaque année à l’hôtel du même nom, aux Pays-Bas).
Politiquement, ce chasseur passionné à la silhouette juvénile fut l’un des soutiens les plus proches de son voisin sarthois, François Fillon, lors de la campagne présidentielle de 2017 : il lui ouvrira ses réseaux, lui prodiguera de nombreux conseils… Cette complicité sera si proche que François Fillon lui aurait proposé un portefeuille de ministre en cas de victoire… Pour l’anecdote, c’est même lui qui l’aurait amené à passer son permis de chasser, après son échec à la présidentielle.
« Je suis heureux et honoré de prendre les rênes d’une institution qui contribue depuis plus de 50 ans au dialogue constructif entre les différents acteurs de la défense de l’environnement, qu’ils soient chasseurs, naturalistes, scientifiques, artistes, écologistes ou intellectuels, au-delà des polémiques », a déclaré Henri de Castries. Au-delà des mots de circonstances, propres à ces passations de pouvoir, le nouveau président de la fondation François Sommer ne l’ignore pas : son arrivée coïncide avec un moment délicat, sinon critique, pour la chasse française, de moins en moins comprise et de plus en plus contestée par des mouvements écologistes qui trouvent un écho favorable dans la population et les médias. Or, par ses missions, elle peut et doit jouer un rôle essentiel dans la défense et le rayonnement de notre passion cynégétique.
De quoi s’agit-il ? « Voilà un lieu dont je dirais qu’il est à la fois historique et vivant », avait écrit, voilà un peu plus de dix ans, l’académicien et écrivain Michel Déon, à propos de cette fondation dans le hors-série que nous lui avions consacré. Rappelons-nous que François Sommer, lors de sa création, en 1967, voulait qu’elle soit une « université de la chasse », avec ses bras multiples : une partie musée, ouverte au public, une privée avec le club, et une scientifique… Plus encore, le testament moral de François Sommer, sept pages rédigées un an avant sa mort en 1972, était on ne peut plus clair : maintenir et poursuivre l’esprit de la fondation, « ce centre de propagande artistique en faveur de la chasse et de la nature vivante ». Il avait bien senti, voilà plus de 50 ans, et compris que la chasse de demain ne pourrait ignorer les impératifs d’éthique, de gestion et de protection… N’est-ce pas lui qui avait suggéré au président Georges Pompidou – et obtenu de lui – la création d’un ministère de… l’Environnement en 1971 ?
Sa chance est d’avoir su maintenir une totale indépendance morale et financière. « Cette indépendance, c’est notre liberté, mise au service de la chasse », avait expliqué il y a plus de 10 ans, le prédécesseur de Philippe Dulac, Christian de Longevialle, récemment décédé, qui avait été aux côtés de François et Jacqueline Sommer depuis les débuts. Au vrai, si depuis 20 ans, des pas de géants ont été accomplis (avec le musée agrandi, repensé, un club redynamisé, un aspect scientifique développé), beaucoup reste à faire à la fondation, plus aujourd’hui qu’hier, en ne reniant rien de son passé. Qui peut nier, en effet, que la chasse est une certaine manière de vivre, une attitude devant la vie et la mort, et désormais un enjeu philosophique face aux adeptes du droit et du bien-être animal ?
Aussi la fondation doit-elle se préparer à être encore davantage un acteur de la biodiversité (que l’on laisse trop souvent à d’autres), montrer par l’exemple que la chasse est partie prenante de la sauvegarde des équilibres naturels (en particulier pour le petit gibier), tout en restant un laboratoire de réflexions… « François Sommer n’avait pas entrepris la restauration d’un hôtel particulier, fût-il de Mansard : il avait entrepris la création de la Maison de la Chasse. C’est ici que l’avenir annexe un admirable passé », s’était exclamé André Malraux, lors de son inauguration en 1967. Bref, la fondation est et doit rester l’ambassadrice de la chasse sous toutes ses formes, rester un lieu d’influence au sens premier du terme, c’est-à-dire capable de produire certains effets. On ne peut que souhaiter, espérer que la fondation pèse avec plus de force sur les décisions qui toucheront de près ou de loin au monde de la chasse et de l’environnement. Henri de Castries pourra mettre une fois de plus en application l’une de ses expressions favorites : « Ne pas jouer les hamsters qui tournent sur place dans leur roue ».