En ce début du mois de décembre 2019, alors qu’une fine pluie bien pénétrante et secondée par le vent s’emploie à fouetter les badauds emmitouflés, me voici déambulant dans les rues de Bayeux, superbe cité moyenâgeuse du Calvados qui vaut, si vous passez dans le coin, assurément le détour. Cela dit, ma présence en ce lieu aujourd’hui n’est pas exactement le fruit du hasard – quoique ledit hasard, qui fait souvent curieusement les choses, ne soit pas étranger à ce que j’ai l’heur de vous conter là.
En effet, à moins de s’être exilé au cours des dernières années sur quelque planète très lointaine, nul d’entre vous, chers lecteurs, n’ignore, je pense, l’existence d’une série télévisée américaine dite « médiévale-fantastique » et appelée Game of Thrones. Réputée pour son apologie de la non-violence et pour la douceur de mœurs de ses personnages, cette série, que j’apprécie beaucoup mais dans une certaine mesure, a fait récemment l’objet d’un travail artistique extraordinaire : sur le modèle de la célèbre tapisserie de Bayeux – qui narre les exploits de Guillaume le Conquérant en terres an-glaises en l’an 1066 –, une tapisserie géante de lin, brodée à la main par une équipe des Musées nationaux d’Irlande du Nord, a été réalisée, qui retrace toutes les saisons de Game of Thrones – soit une toile de style médiéval de plus de 87 mètres de longueur. L’œuvre étant exceptionnellement visible à Bayeux, à deux pas de la cathédrale, jusqu’au 31 décembre, il eût été fort dommage de n’en pas profiter, d’autant que l’exposition – gratuite – était vraiment de toute beauté.
Or, après m’être replongé, à cette occasion, dans l’histoire pour le moins tourmentée des Stark, Targaryen et autres Lannister, voici que, sur le chemin du retour, alors que les bourrasques n’ont pas faibli, j’atteins le parvis de la fameuse cathédrale et ses pavés impeccablement entretenus.
Soudain, devant l’une des portes de l’édifice, sur le sol, une forme – disons – « incongrue » attire mon regard. Aussitôt je m’aperçois qu’il s’agit d’un cadavre d’oiseau, mais c’est encore trop loin pour décider de l’espèce. L’esprit tout imprégné de l’atmosphère de l’exposition, je me dis que c’est peut-être là l’étrange « corneille à trois yeux » que les fans de la série ne manqueront pas de se représenter… J’approche, et c’est presque plus surprenant : le corps du volatile a été quasiment dévoré, mais il reste les ailes, la queue et les pattes, le tout vaguement relié à une jolie tête pourvue d’un long bec droit. Une bécasse ! Pour une surprise, c’en est une – en plein cœur d’une ville où l’on n’aurait pas idée, heureusement, de pénétrer avec son épagneul et son B25 pour une partie de chasse…
Que faisait donc cette bécasse morte en un tel endroit ? Trois hypothèses : qu’elle ait rencontré, dans le ciel normand, l’un des dragons de Game of Thrones et soit alors tombée en syncope, avant d’être grignotée par les charognards locaux (peu probable, pour d’évidentes raisons) ; qu’elle ait été blessée auparavant par un chasseur maladroit, présomptueux ou malheureux (possible, mais qu’elle soit venue chercher l’extrême-onction en plein centre de la ville paraîtrait étonnant !) ; enfin, et c’est plus vraisemblable, qu’elle ait été victime, comme il arrive parfois sur les côtes à cause de la lumière des phares, de celle qu’émet la cathédrale la nuit – car on sait que les sources lumineuses peuvent être fatales à certains oiseaux, notamment migrateurs, qui s’en trouvent éblouis et viennent s’écraser littéralement contre les constructions humaines.
En tout état de cause, cette rencontre insolite sous les gargouilles et leurs sourires sardoniques n’a pas laissé d’exciter mon imagination, et c’est pourquoi j’ai voulu vous en faire part dans ce billet. Et vous, avez-vous déjà vécu de ces petites péripéties survenues dans le « ventre » de votre ville ? N’hésitez pas à nous le raconter ici !
Reproduit avec l’aimable autorisation de nos amis de Browning Europe.