Fondateur des éditions qui portent son nom, Oliver Gallmeister est un fin connaisseur du nature writing, cette littérature typiquement américaine qu’il contribue à faire connaître aux lecteurs francophones depuis presque vingt ans. Il nous a reçus, à Paris, dans les bureaux de sa belle Maison…

Il existe comme un passage secret en plein coeur de Paris. Situé rue de Nesle, dans le VIe arrondissement, il conduit ceux qui l’empruntent des bruyants trottoirs de la capitale aux vastes étendues sauvages des États-Unis, entre autres. Par quel miracle ? L’amour d’une certaine littérature, où la Nature majuscule fait office d’entité, sinon de personnage à part entière. Depuis 2005, en effet, année de leur création, les éditions Gallmeister invitent au voyage au long cours et proposent des textes peu connus – voire inconnus – sous nos latitudes, les Lettres françaises ayant, de nos jours, largement délaissé la peinture des grands espaces et celle des hommes qui y vivent ou y vécurent. Avec son logo qui reproduit une empreinte de loup, ses couvertures aux visuels particulièrement soignés et son catalogue de quelque 400 titres, cette maison ne ressemble à nulle autre : à peine franchissons-nous le seuil de ses locaux que notre regard est happé par l’imposant trophée d’une femelle de bison qui nous toise, là, sur le mur… un peu au-dessus des bureaux et des rayonnages de livres. Puissant symbole.

Le maître des lieux ? Oliver Gallmeister, un Corrézien de 53 ans passionné par l’Amérique et qui puise, à la source même du nature writing, la matière de ses publications – qu’il s’agisse de rééditions, de retraductions ou d’œuvres originales, soit désormais environ 60 titres par an. « L’idée de départ, nous explique-t-il, c’était de fonder une maison consacrée aux multiples pratiques de la nature, à l’image de ce que je voyais outre-Atlantique. Là-bas, tous les chasseurs connaissent les grands livres liés à la chasse ; idem concernant les pêcheurs, etc. En France, il n’y avait pas cette culture, en tout cas pas dans de telles dimensions… » En extrapolant un peu, on peut dire à bon droit que l’éditeur comble ainsi un vide dans le paysage littéraire français ; mieux : entouré de vingt collaborateurs, il devient un authentique passeur.

Le goût de l’ample « roman d’imagination », de la romance comme le disent les Anglo-Saxons – par opposition au novel, plus ‘‘social’’ ou ‘‘intimiste’’ –, constitue l’essence même de sa ligne éditoriale. Et notre homme sait de quoi il parle. La chasse ? « Je ‘‘chassouille’’, nous confie-t-il avec humilité. J’ai passé mon permis il y a une dizaine d’années. J’aime l’esprit de la chasse, la chasse à la bécasse au chien d’arrêt par exemple, la chasse comme good sport… Cela dit, je ne suis pas ce qu’on appelle un grand chasseur ! En revanche, j’adore la pêche à la mouche, pêche purement qualitative, que l’on ne pratique pas pour gagner mais pour jouer ; une pêche de poète, en quelque sorte… » Intarissable sur les truites qui peuplent la Dordogne ou le Nord de l’Écosse, Oliver Gallmeister cherche à la fois le vrai et le beau, avec, toujours, « le souci de l’intégrité ».

Si, depuis trois ans, en plus de ‘‘ses’’ auteurs américains, il publie également des écrivains nord-européens, il constate qu’il est devenu très difficile de découvrir de « nouvelles voix » dans la production production d’outre-Atlantique. « Aux États-Unis, l’édition est essentiellement newyorkaise, donc très urbaine, pas du tout en phase avec le reste du pays. L’écriture de la nature, la chasse, la pêche… ça lui semble totalement exotique… Plusieurs de ‘‘mes’’ auteurs – Pete Fromm, David Vann, etc. – n’ont d’ailleurs plus d’éditeur là-bas ». Atmosphère woke oblige, les jeunes plumes qui ne cocheraient pas d’emblée certaines cases ‘‘morales’’ sont invisibilisées, comme le sont, parfois, les plus confirmées. « Je pense, poursuit-il, à Elizabeth Gilbert qui, après avoir vendu des millions d’exemplaires de son Eat, pray, love, a dû renoncer, avec son éditeur, à publier son roman suivant parce qu’il se passait dans la Russie du XXe siècle, en Sibérie et avant Poutine, donc, et qu’il risquait de donner une image positive des Russes ». Un exemple parmi d’autres ! Le système des ‘‘influenceurs’’ sollicités en amont par le monde de l’édition – à travers des sites comme Goodreads – est le vecteur d’une véritable censure fondée sur les ‘‘valeurs du temps’’. « Un homme blanc ne peut pas écrire sur une femme noire ou un Indien : ce serait de ‘‘l’appropriation culturelle’’… Ajoutez à cela que l’édition américaine est très capitalistique, et vous comprendrez pourquoi nous éprouvons quelques difficultés, non à publier du nature writing, mais à découvrir de nouveaux auteurs en ce domaine… » Inutile de préciser qu’un Jim Harrison ou – dans un autre registre – un Charles Bukowski et même un J.D. Salinger n’y auraient aujourd’hui plus droit de cité.

Mais quid de la France ? Jadis, de grandes maisons n’hésitaient pas à faire paraître des oeuvres où la cynégétique tenait le premier rôle ; songeons à Vialar, à Déon… Selon Oliver Gallmeister, les contextes sont un peu différents. « Je crois qu’en France il s’agit moins de censure que de désintérêt. Une part importante des jeunes générations n’a plus aucun contact avec la nature et le monde sauvages. C’est une rupture liée aux évolutions sociologiques, une rupture que reflète la production littéraire – sans oublier que l’édition française est surtout parisienne… La chasse disparaît de notre univers mental, et pas uniquement à cause de l’activisme antichasse, qui n’est évidemment pas négligeable médiatiquement mais qui représente fort peu à l’échelle du pays ! »

En tout état de cause, parce qu’elle rencontre un franc – et mérité – succès, parce que son fondateur continue contre vents et marées à croire « à la nécessaire liberté de l’écrivain » et parce que le travail éditorial ainsi que la qualité des traductions y sont remarquables – gageons que la belle maison de la rue de Nesle demeurera, longtemps encore, le porteur privilégié du grand souffle de la Nature réelle dans la littérature et la culture ! D’autant que, nous apprend-elle, des auteurs de langue française devraient bientôt y prendre leurs quartiers…

www.gallmeister.fr