La ‘‘cohabitation’’ entre l’homme et l’animal est un problème redoutablement complexe. Mis à part quelques esprits farfelus – et hélas élus – qui, dans notre pays, plaident pour que chacun change de regard sur les « commensaux » non humains – rats, punaises de lit, etc. –, lesquels élisent domicile en nombre dans certains quartiers de certaines de nos villes, les esprits pourvus d’un peu de bon sens perçoivent d’emblée qu’il n’est pas toujours évident d’être environné au quotidien d’animaux spontanément peu sympathiques à notre endroit, sinon carrément dangereux.
Pendant, donc, qu’une poignée de progressistes éclairés d’une étrange lanterne nous explique, en somme, que la bienveillance finira tôt ou tard par faire triompher la paix universelle, à l’autre bout de la planète, en Inde, en l’occurrence, les autorités ont dû récemment prendre une décision pour le moins radicale. Dans les environs du parc national de Valmiki, situé au nord-est, dans l'État du Bihar, un tigre semait en effet la terreur parmi les populations locales depuis plus d’un mois. Âgé de trois ou quatre ans, ce mâle avait tué au moins neuf personnes, dont une femme et son fils le 8 octobre dernier, avant que la police indienne ne procède à la traque du mangeur d’hommes lors d’une opération ayant nécessité le concours de deux cents rabatteurs, et que celui-ci ne soit abattu. Toutes les tentatives non léthales destinées à neutraliser le félin, espèce protégée, s’étaient avérées vaines. « Près de 225 personnes ont perdu la vie dans des attaques de tigres entre 2014 et 2019 en Inde, selon les données du gouvernement », précise une dépêche de l’AFP.
Naturellement, des ‘‘défenseurs des animaux’’ n’ont pas manqué d’accuser l’expansion des installations et activités humaines de provoquer l’augmentation de ce type de ‘‘situations’’ ; difficile, sinon impossible de leur donner tort, tant le rapport de cause à effet semble assuré – mais quid des solutions à ce fort délicat problème ? Rappelons que l’Inde abrite environ 3000 tigres, soit 70 % des spécimens présents sur la planète (chiffres de 2018). Les cas sont d’ailleurs récurrents : début octobre, cette fois dans le centre du pays, c’était au tour d’un autre tigre de faire parler de lui. Ainsi que nous l’apprend Le Figaro, les autorités ont alors déclaré que, depuis plusieurs jours, l’un de ces félins errait dans le vaste campus de Bhopal, capitale de l'État du Madhya Pradesh. Le vagabond ayant déjà occis au moins deux bovins locaux, point n’est fait mystère du danger qu’il représente pour les étudiants de ce campus, lequel est entouré de grandes zones boisées favorables à la tranquillité des tigres. A telle enseigne que, face à la difficile tâche d’identifier le lieu précis où le fauve se trouve pour le capturer, consigne a été donnée de ne se déplacer qu’en groupe après le coucher du soleil, mieux : un festival annuel de technologie auquel 10 000 personnes étaient attendues a dû être annulé par mesure de précaution…
De tels ‘‘conflits de voisinage’’ – pour user d’un euphémisme – entre l’homme et certains représentants de la nature sauvage ne sont guère nouveaux. Songeons, parmi de multiples exemples, au célèbre chasseur Jim Corbett, officier britannique qui, en 1907, était venu à bout de la fameuse tigresse de Champawat, tigresse à laquelle on imputa la mort de plusieurs centaines de personnes en Inde, notamment. On peut également penser aux deux lions du Tsavo qui, en 1898, sur le chantier d’un pont situé dans cette région du sud du Kenya et franchissant la rivière du même nom, tuèrent une trentaine d’ouvriers et passèrent eux-mêmes de vie à trépas, à trois semaines d’intervalle. Mais on pourrait tout aussi bien évoquer les cas peu ou pas médiatisés, singulièrement en Afrique, de personnes attaquées de nos jours par des fauves, des crocodiles, ou chargées par des éléphants ou des hippopotames, qui y ont laissé la vie ou qui ont tout simplement disparu – les guides de chasse sur le continent noir en savent quelque chose. Reste que les amis des bêtes, particulièrement inféodés aux réseaux sociaux – il suffit de parcourir les commentaires lorsqu’un spécimen ‘‘emblématique’’ est abattu parce que devenu trop dangereux… –, ont un fâcheux réflexe : prendre systématiquement le ‘‘parti’’ de l’animal contre l’homme. En France, pour ne parler que de notre pays, la faune sauvage ne nous expose guère, sauf exception, à des risques similaires. Il est préférable d’éviter de tenter de caresser un cerf lors du brame, et il est certain qu’un renard acculé ou enragé accueillera votre main, si bienveillante soit-elle, avec autant de douceur qu’un ratel – mammifère réputé très irascible. Mais nos contrées ne sont en rien comparables, de ce point de vue, avec les régions du monde dont nous venons de parler. Ainsi serait-on sans doute bien inspirés, sous nos latitudes, de nous figurer ce que c’est que de vivre à proximité de créatures qui peuvent vous déchiqueter, vous écraser, vous noyer ou vous mettre en pièces en quelques secondes, aux portes de votre foyer. Cette précaution quasi morale ne serait certes pas une solution au très délicat problème du développement humain aux dépens de certaines espèces, mais elle contribuerait, du moins, à entraver cette pénible tendance contemporaine au mépris de la vie proprement humaine…